Dans le milieu hospitalier, il est "difficile d'imaginer que les soins apportés aux patients exposent à contracter soi-même un cancer", relève Anne Marchand, sociologue et co-directrice du Groupement d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle en Seine Saint-Denis.

QUESTION: Pourquoi parle-t-on si peu des cancers d'origine professionnelle à l'hôpital?

REPONSE: Dans le milieu hospitalier, c'est sans doute encore plus difficile que dans d'autres secteurs professionnels d'imaginer que les soins apportés aux patients exposent à contracter soi-même un cancer. Les risques cancérogènes dans le travail médical demeurent largement sous-estimés.

En réclamant la reconnaissance de leur cancer en maladie professionnelle, les infirmières de Rennes lèvent le voile sur une réalité qui serait sinon restée dans l'ombre. Cela devrait permettre d'alerter leurs collègues d'autres établissements qui ont été exposés à ces produits dont ils ignorent le caractère cancérogène.

Q: Pourquoi dites-vous dans votre thèse que les cancers causés par le travail sont un phénomène invisible?

R: Il y a une représentation dominante des causes du cancer qui relie cette maladie aux comportements individuels. Regardez les campagnes de prévention de santé publique qui disent +Bougez plus, mangez mieux, ne pas fumer, ne pas boire+. C'est difficile de penser que le cancer dont on est atteint puisse être en lien avec son travail, d'autant qu'il survient parfois 50 ans après avoir été exposé à des cancérogènes au travail.

Le processus de reconnaissance en maladie professionnelle est encore plus compliqué pour les cancers que les autres maladies parce qu'il faut retrouver des preuves d'exposition très anciennes et que ces traces n'existent pas, le plus souvent.

Ensuite, si la maladie n'entre pas dans le cadre étroit des tableaux de maladies professionnelles, il est alors recherché, pour l'imputer au travail, des preuves d'une causalité unique et ce n'est pas possible face à une maladie multifactorielle.

Au Giscop 93, nous guidons les patients atteints de cancer pour reconstituer le plus finement possible leur parcours professionnel. Cette reconstitution est ensuite soumise à l'analyse d'un collectif d'experts qui identifient, ou non, des expositions cancérogènes dans les procédés de travail et peuvent préconiser une déclaration en maladie professionnelle.

Q: Des rapports font état d'une part de cancers d'origine professionnelle comprise entre 4 et 8,5%, est-ce exact?

R: Dans le cas d'une maladie multifactorielle, on ne peut pas isoler une cause d'une autre, découper par exemple un cancer du poumon d'un salarié du BTP et dire +Il me semble que le tabac est davantage en cause que l'amiante+. Cette fourchette est une construction statistique, à partir d'équations qui ont été élaborées au début des années 1980, jamais remise en cause jusqu'à présent alors même que plusieurs travaux en soulignent les limites. Elles ne reflètent pas la réalité mais pèsent lourdement sur les représentations: la responsabilité du travail dans l'épidémie de cancer est ainsi largement sous-estimée, le risque cancérogène minimisé.

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