La justice entrouvre la voie à un procès de l'amiante: contre toute attente, la cour d'appel de Paris a ordonné la reprise de l'enquête sur l'entreprise Everite en estimant, pour la première fois, que ses dirigeants pouvaient être tenus responsables de l'exposition de ses salariés à cette fibre cancérogène.
Saisie par des proches de victimes qui se battent pour obtenir un procès pénal, la chambre de l'instruction de la cour d'appel a infirmé mercredi le non-lieu rendu en décembre 2018 par les juges chargés de l'enquête sur cette filiale de Saint-Gobain.
Elle a ainsi renvoyé le dossier aux juges d'instruction pour qu'ils reprennent leurs investigations en vue d'éventuelles mises en examen de responsables de l'entreprise, a appris l'AFP vendredi auprès d'une source judiciaire et de l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva).
Une première dans l'histoire de ce scandale sanitaire vieux de plus de vingt ans qui pourrait remettre en cause une série d'autres non-lieux déjà rendus dans plusieurs dossiers.
Le parquet général a toutefois annoncé à l'AFP qu'il avait immédiatement formé un pourvoi devant la Cour de cassation, désormais chargée de confirmer ou non l'interprétation juridique inédite de la cour d'appel.
Sa décision vient en effet contredire pour la première fois une analyse établie en 2017 par les juges d'instruction et le parquet du pôle santé publique du tribunal de Paris, qui rendait quasiment inéluctable l'absence de procès pénal dans les dossiers de l'amiante.
Pour rendre ce non-lieu en décembre 2018, les magistrats s'étaient appuyés, comme dans d'autres dossiers auparavant, sur une expertise judiciaire définitive de février 2017 qui estimait impossible de déduire avec précision le moment de l'exposition des salariés à cette fibre cancérogène, et celui de leur contamination.
Par conséquent, il était impossible, selon les magistrats, d'établir les responsabilités pénales de tel ou tel dirigeant.
Depuis lors, une quinzaine d'affaires, liées au scandale de l'exposition à ce matériau interdit en France en 1997, ont pris ou devaient prendre le chemin d'un non-lieu.
Le 16 octobre 2020, la famille de deux frères jumeaux qui ont travaillé de 1954 à 1991 sur le site d'Everite à Dammarie-les-Lys et sont décédés des suites d'un mésothéliome (un cancer de la plèvre spécifique de l'amiante), avait contesté le non-lieu lors de l'audience devant la cour d'appel.
- "Farce judiciaire" -Dans son arrêt rendu trois mois plus tard, consulté par l'AFP, la cour d'appel estime que "l'intoxication résulte selon les experts d'un processus +d'accumulation+ des fibres respirées" et que de fait, "c'est toute la période d'exposition qui contribue à la maladie et/ou au décès".
Ainsi, "chaque dirigeant successif peut avoir participé, à son échelle de responsabilité, à l'exposition des salariés aux fibres d'amiante", poursuit-elle.
"Si les victimes de l'amiante peuvent se féliciter de cette victoire qui leur redonne l'espoir qu'un procès de l'amiante puisse enfin avoir lieu, elles déplorent en revanche les errements des juges d'instruction", écrit l'Andeva dans son communiqué. L'association n'a eu de cesse ces dernières années de dénoncer une interprétation "totalement erronée" des expertises scientifiques.
Une autre association de défense des victimes de l'amiante, l'AVA - qui regroupe le Comité anti-amiante Jussieu et l'association régionale des victimes de l'amiante (Ardeva) - a salué un "arrêt de pur bon sens".
Toutefois, "cette décision n'arrêtera pas la farce judiciaire qui a été mise en place pour empêcher qu'un procès de l'affaire de l'amiante se tienne un jour", estime l'association qui souligne que "de très nombreux responsables sont déjà décédés" et que "les plus jeunes encore en vie ont dépassé les 70 ans".
Pour tenter d'accélérer le processus pour obtenir un procès pénal, l'AVA a décidé de son côté de déposer une citation directe visant les responsables nationaux de la catastrophe sanitaire de l'amiante.
Cette procédure, annoncée depuis deux ans et qui devrait finalement être engagée début mars, permet de saisir directement le tribunal sans passer par une instruction pénale, à charge pour les plaignants de collecter et de présenter les éléments de preuve à l'audience.
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COMPAGNIE DE SAINT-GOBAIN SA