Xavier Ronsin, procureur de la République de Nantes au moment du quintuple assassinat de la famille Dupont de Ligonnès en 2011, explique à l'AFP comment il a vécu cette affaire exceptionnelle et décrypte ce qu'elle a de marquant et de fascinant.
Q: Avez-vous le souvenir du moment où vous avez l'intuition que l'on bascule dans une affaire hors du commun?
R: "L'événement clé dans mes souvenirs s'est produit dans les quelques minutes qui ont précédé une conférence de presse que je devais tenir au tribunal de Nantes pour lancer un appel à témoignages à propos de ce qui n'était jusque-là qu'une disparition plus mystérieuse d'ailleurs qu'inquiétante. Un commissaire de police qui se trouvait dans mon bureau a reçu un appel téléphonique lui annonçant la découverte dans le jardin de la famille d'un premier corps. Cette annonce changeait totalement la perspective et le contenu de la conférence de presse et évidemment j'ai pris immédiatement toute la mesure de cette évolution soudaine de l'enquête."
Q: Pour vous quel a été le temps le plus fort de l'affaire en 2011?
R: "Outre le basculement de l'enquête que je viens d'évoquer, les temps les plus forts dans mon souvenir ont trait à mon propre déplacement avec les enquêteurs dans la maison des Dupont de Ligonnès qui par hasard était très proche de mon propre domicile puis évidemment les autopsies des corps de ces enfants et de leur mère et enfin la gestion quotidienne, heure par heure, du déferlement médiatique à chaque révélation ou fuite sur le déroulement de l'enquête ou de pseudo reconnaissances du suspect dans les lieux les plus improbables."
Q: En quoi cette affaire est-elle exceptionnelle ?
R: "Chaque affaire, surtout si elle de nature criminelle, est exceptionnelle ou singulière et je me méfie toujours des superlatifs médiatiques, car le devoir des enquêteurs et des magistrats est de traiter toutes les affaires judiciaires, y compris les plus banales, avec le même sérieux (...) Mais j'en conviens, un quintuple assassinat d'une famille aussi classique et insérée, la traque pendant dix ans d'un suspect, l'immense intérêt médiatique que ces morts et cette enquête ont suscité, les milliers de témoignages, sérieux ou farfelus recueillis, le mystère du devenir de cet homme, tout ceci à bien un caractère exceptionnel."
Q: Qu'est-ce qui explique la fascination qu'elle suscite depuis une décennie?
R: "Dès lors qu'une affaire criminelle n'est pas totalement résolue sur le plan judiciaire, soit par l'arrestation de l'auteur soit par la découverte de son corps, le mystère fascine (...) Lorsque le meurtrier est extérieur à la famille, paradoxalement je pense que l'horreur du ressenti est moindre que si +le Mal+ est provoqué de l'intérieur du cocon familial, considéré par tous comme étant le plus protecteur du monde dans toutes les sociétés, notamment à l'égard des enfants. S'y ajoute parmi les hypothèses les plus sérieuses pour expliquer ces assassinats, leur caractère planifié, prémédité, y compris par des pièges tendus à des enfants, des traquenards, l'extraordinaire accumulation de mensonges avant et après... une telle densité de volonté criminelle forcément est marquante et fascinante."
Q: La pression médiatique était importante, a-t-elle compliqué l'enquête ?
R: "Je vous confirme que cette pression médiatique a été intense mais qu'elle n'a pas paralysé les investigations. Tous les médias, de télévision, de radio, de presse écrite ou d'internet relayaient au début parfois en boucle, informations vérifiées et rumeurs les plus folles, dans une concurrence exacerbée. J'ai fait le choix délibéré à l'époque de communiquer par mails tous les jours à l'ensemble des journalistes qui le souhaitaient l'intégralité des réponses aux différentes questions qui m'étaient adressées au lieu de privilégier un tel ou un tel ou de confirmer secrètement +de source autorisée+ tel ou tel fait auprès d'un interlocuteur privilégié. J'ai constaté que cette pratique avait apaisé la concurrence et la course à la +fuite+ ou au témoin miracle puisque je partageais tout avec tout le monde avec l'accord préalable du juge d'instruction."
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