"Nous sommes considérés comme des clowns". "Manque de considération", aides "injustes" et "tardives", trésorerie en berne... à l'arrêt depuis le premier confinement en mars et sans perspective de réouverture, le monde de la nuit, amer, s'inquiète pour son avenir.
De mars à décembre, 131 établissements de nuit ont été placés en liquidation judiciaire, 24 en redressement et six en procédure de sauvegarde, s'alarme Thierry Fontaine, président de l'UMIH-Nuit France, précisant que les 1.600 discothèques françaises génèrent plus de 30.000 emplois directs. A terme selon lui, un tiers d'entre elles pourraient disparaître.
"On nous laisse tomber, nous sommes pris pour des amuseurs. On est à l'arrêt depuis début mars et on sera l'une des dernières professions à redémarrer", déplore David Asko, DJ de musique électronique. Sans ressources, "dans un désespoir total", l'artiste crie sa "colère" d'avoir été qualifié de "non-essentiel" par le gouvernement, "du mépris".
"Nous sommes considérés comme des clowns", abonde Quentin Schneider, cofondateur et gérant du Warehouse à Nantes, employant 70 salariés et prestataires externes.
Dans ce milieu, "pour la plupart des gens, on est presque tous des voyous, alors que l'environnement s'est assaini depuis une dizaine d'années. Nous sommes de vrais chefs d'entreprise", argue Jérôme Guilbert, qui gère 220 salariés et a généré sept millions d'euros de chiffre d'affaires en 2019 avec ses établissements de nuit à Nantes.
"Beaucoup se posent la question du dépôt de bilan et nous sommes désarmés: on ne va pas inciter les gens à tenir coûte que coûte alors qu'on ne connaît pas l'issue de la crise", affirme Frantz Steinbach, cofédérateur du comité de filière "Nuit, lieux musicaux festifs & de vie", créé en mai 2020.
Quentin Schneider fait le compte: avec "70.000 euros de charges fixes mensuelles, dont 55.000 euros de loyer, on fait face à une dette de 700.000 euros... et on avait touché 80.000 euros d'aides début janvier".
- Dispositif d'aides adapté -Pour pallier ces fermetures, outre la prise en charge du chômage partiel, l'État a mis en place depuis juin un fond d'aides mensuel de 15.000 euros par mois maximum. Jugé "injuste" par les professionnels car non-proportionnel, le dispositif a été adapté en décembre: les entreprises ont désormais le choix entre 10.000 euros par mois forfaitaires ou une aide de 20% de leur chiffre d'affaires mensuel.
Ces aides devraient "stopper l'hémorragie" pour Renaud Barillet, directeur de la Rotonde et de la Bellevilloise à Paris. "Mais il fallait déjà tenir jusque-là...", nuance M. Guilbert, qui regrette que ce nouveau dispositif ne soit pas rétroactif.
En décembre, Emmanuel Macron a exclu une réouverture rapide des discothèques. "Ce serait de la folie", avait lancé le chef de l'État à un jeune homme qui l'interpellait sur le monde de la nuit, selon lui "en train de tomber en ruines".
Le Haut conseil de la santé publique s'était déjà prononcé contre une réouverture des discothèques l'été dernier, citant des "cas de clusters ayant pour origine des discothèques", des "difficultés à faire respecter une distance de plus d'un mètre en dansant" ou encore une "désinhibition des comportements par consommation de boissons alcoolisées".
M. Steinbach espère malgré tout une réouverture rapide avec un protocole sanitaire, mais sans limitation de jauge: "Tests salivaires à l'entrée négatifs, gel sur les mains et masques. Limiter le public ne fonctionne pas économiquement".
Surtout, "quand ça reprendra, ce ne sera surtout pas le moment où les aides devront disparaître", tonne Renaud Barillet, inquiet de savoir comment le secteur "va pouvoir retrouver la même vigueur demain".
"L'État n'abandonnera pas les entreprises au moment de la reprise. S'il y a des difficultés, l'État sera présent", assure le cabinet du ministre des petites et moyennes entreprises, Alain Griset.
zl/bfa/caz