"Un dessin de presse, ça doit se comprendre en deux secondes", dit Willem. Le caricaturiste néerlandais, qui met un terme cette semaine à 40 ans de dessins en noir et blanc pour Libération, est un maître de la provocation et de la satire corrosive.
Cultivé et polyglotte --il parle aussi français, allemand, anglais et norvégien--, cet anar flegmatique tire sa révérence à 80 ans, cédant la place à la dessinatrice Coco, 38 ans, qui dessine depuis 2008 dans l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo.
Antimilitariste convaincu, anticlérical, le graphiste hors pair au style épuré quitte Libé mais continuera à collaborer pour Charlie Hebdo et à croquer l'absurde et l'abject pour, dit-il, "tuer la connerie".
Il est aussi un auteur de bandes dessinées prolifique et reconnu ("Billy the Kid", "Dick Talon", "Anal symphonies"...), couronné du Grand prix d'Angoulême en 2013 pour l'ensemble de sa carrière. Une distinction qui a fait grincer quelques dents en raison de ses traits pornographiques et parfois scatologiques.
Né le 2 avril 1941 à Ermelo, petite ville des Pays-Bas à 70 km à l'est d'Amsterdam, Bernhard Willem Holtrop fait partie dans les années 60 du mouvement anarcho-artistico-écologique hollandais Provo. Il dessine contre la censure et fonde un journal satirique qui est saisi après la publication d'un dessin représentant la reine Juliana en prostituée.
Son antimilitarisme lui vient de son père, un médecin de campagne résistant, interné dans un camp et sauvé de justesse par les soldats canadiens.
Il débarque en France en 1968, dans un Paris en pleine ébullition, et se lie avec Topor et Siné.
Willem travaille pour L'Enragé puis Hara-Kiri, et dirige en 1976 Surprise, éphémère journal de BD. L'aventure prend fin dès le 5e numéro après l'interdiction de vente aux mineurs prononcée par le gouvernement.
A partir de 1981, il publie une puce quotidienne dans Libération, où il donne libre cours à son regard acéré sur le monde, croquant la politique et le sexe dans une imagerie parfois violente.
- "L'équivalent de Daumier" -Il rejoint aussi, parallèlement, l'équipe de Charlie Hebdo nouvelle formule lancée en 1992.
"C'est celui qui a la meilleure vision et analyse géopolitique dans le monde. Il voit ce qu'il y a à voir et ce que les autres ne voient pas", jugeait en janvier dans Libé l'éditeur Jean-Pierre Faur.
"Willem, c'est l'équivalent de Daumier dans l'acuité du trait", renchérit Bayon, grande plume du quotidien. "Il a de la poésie, de l'intuition politique qu'il mêle à sa culture communautaire et libertaire des Pays-Bas. C'est le grand dessinateur de notre époque".
Retiré depuis une dizaine d'années sur l'île de Groix, au large de Lorient, où il vit avec son épouse norvégienne Medi, il ne participe pas aux conférences de rédaction. C'est ce qui le sauve, le 7 janvier 2015, de l'attentat islamiste au siège de Charlie. Il est dans le train pour Paris quand il apprend la terrible nouvelle.
Pudique et timide, l'homme aux cheveux dégarnis en bataille et à la grande carcasse voûtée évoque peu l'horreur qui a coûté la vie à ses camarades. "Les fanatiques, je n'aime pas trop. Les gens qui ont leur religion et n'en parlent pas, c'est bien", lâche-t-il.
Lui est plus à l'aise au dessin qu'à l'oral et préfère reprendre son crayon le soir de la tuerie pour faire jaillir ce qu'il ressent.
"Sa tête est pleine d'horreurs et de bonheurs. Tout sort avec son stylo comme une danse drôle ou macabre", résume son épouse.
Willem, qui prépare une anthologie en trois volumes de ses dessins, regrette que "le politiquement correct freine désormais beaucoup de gens". "Quand j'ai commencé, la censure venait de la justice ou de l'Etat. Aujourd'hui, ça vient des rédactions ou des amis. Maintenant, la chape de plomb morale vient du +bon côté+".
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