CRS dans le Sud-Est, gardien de la paix en banlieue ou "bacqueux" la nuit à Paris: des policiers de terrain rencontrés par l'AFP se disent "démotivés", "jugés" lors d'interventions trop souvent "conflictuelles", et peu optimistes sur l'issue du "Beauvau de la sécurité", grande concertation qui doit durer jusqu'en mai.
- "A chaque fois, j'ai l'impression d'être jugé" -Thomas, 26 ans, entré dans la police en 2013, à 18 ans, juste après son bac. Il est depuis quatre ans gardien de la paix en police secours à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne).
"C'est peut-être un peu cliché mais je cherchais un métier qui me permettait d'aider les gens. Aujourd'hui, ce métier n'est plus en phase avec mes convictions. Chaque fois que j'interviens j'ai l'impression d'être jugé ou être mis en porte-à-faux.
La plupart de nos interpellations se font dans des cités avec des jeunes plutôt récalcitrants. On essaie d'aider les gens qui habitent là et vivent ces nuisances, mais on se fait critiquer par tout le monde, on nous reproche d'embêter les petits jeunes... J'ai l'impression de n'aider plus personne.
Peut-être que parfois des collègues ont mal agi, mais il y a une colère grandissante envers la police française et c'est vraiment navrant, ça démotive beaucoup d'entre nous.
En plus on est dans des locaux insalubres, où plus rien ne fonctionne, avec des voitures qu'il faut amener tous les jours au garage. La hiérarchie n'essaie pas du tout d'arranger tout ça".
- "Les jeunes saturent assez vite" -A 49 ans, le major Franck Berger est à la tête de la Brigade spécialisée de terrain (BST) de Neuhof-Meinau, à Strasbourg, classé Quartier de reconquête républicaine (QRR).
"Dans les QRR, on a les moyens de faire correctement notre travail, et c'est ce qu'il faudrait développer partout. On est sectorisé. Ça nous amène une connaissance du terrain, de la délinquance, et de la population.
On est moins embêté pour intervenir, parce que tous les jours on est au contact de la population et des délinquants, donc à force on les connaît, on discute.
Mais le terrain c'est pas évident, ça a bien changé. Nous on a souvent des outrages, des rébellions, lors de contrôle, même si on les connaît. C'est conflictuel, tout le temps, c'est de la provocation, pour que ça dérape. Et les réseaux sociaux, les téléphones portables n'ont rien arrangé.
Les problématiques aujourd'hui, c'est le manque d'effectif. Hors QRR. Nous, sur certaines interventions, on compense les manques de certains services.
Ce que je trouve préoccupant, c'est que les jeunes saturent assez vite du métier. C'est alarmant pour la suite.
- "Bien que les fruits pourris soient sortis" -Pierre (prénom modifié), brigadier d'une quarantaine d'années et CRS depuis cinq ans, dans le Sud-Est
"Le Beauvau de la sécurité va réunir les hautes têtes pensantes de la police et ne pas changer la base: c'est la montagne qui va accoucher d'une souris. Il y a de plus en plus une cassure avec la hiérarchie, qui elle a vu dans la police un moyen d'élévation sociale, de faire carrière.
Avant un policier de base pouvait grimper les marches et devenir commissaire, aujourd'hui c'est de moins en moins le cas on voit des gestionnaires qui ne sont pas passés par le terrain et cela se ressent dans la communication, dans les ordres.
Les Français n'ont jamais aimé leur police, c'est pas nouveau, mais ce qui l'est ce sont les réseaux sociaux. Les gens qui postent des vidéos sont souvent partisans et montrent les extraits qui servent leur opinion, pas le reste, or la situation est souvent plus complexe. C'est bien que certaines affaires ressortent et que les fruits pourris soient sortis, mais il faut faire attention de ne pas juger trop vite."
- "Avec la victime, on se dit qu'on sert à quelque chose" -Dimitri Kalinine, 44 ans, commissaire divisionnaire, chef de la "Bac 75 N", la Brigade anticriminalité de nuit de Paris.
"La nuit, nous avons à faire à un public particulier. La nuit, les tensions s'exacerbent. Ce n'est pas facile, on passe d'une problématique à une autre, et nous ne sommes jamais dans la routine.
C'est toujours exaltant de ne pas savoir ce qu'il va se passer quand on prend son service. Mais c'est également une unité qui vit des moments difficiles, des drames inhérents à son métier, comme en 2013 lorsque deux collègues ont trouvé la mort sur le périphérique percutés par un chauffard.
Mon équipe vit forcément mal les mises en cause des policiers pour violences, ainsi que l'effervescence et les jugements à l'emporte-pièce concernant telle ou telle intervention musclée. Rarement des actions positives, comme celles où l'on parvient à sauver des vies, font les gros titres.
Pour nous, attraper l'auteur d'une agression crapuleuse violente, ceux qui dérobent un ordinateur portable dans un appartement après avoir escaladé la façade, ou interpeller des dealers... c'est une grande satisfaction. On se dit qu'on sert à quelque chose lorsque l'on est avec la victime."
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