Un salaire équivalent au Smic, une couverture sociale, le droit au chômage: à Dijon, comme dans d'autres métropoles, une association tente de prouver que la livraison à vélo "éthique" est possible, loin de l'ubérisation du travail des grandes plateformes.
Livreur pour Uber Eats et Deliveroo depuis deux ans, Bruno Giraud estime qu'on est là "pas loin de l'esclavagisme": "on n'a aucune garantie", dénonce-t-il.
Faire du vélo son métier, il trouvait ça "génial" mais a vite déchanté. "Avant, on pouvait faire 70 euros le soir mais ils recrutent de plus en plus de livreurs, pour pas assez de commandes. Alors le prix de la course baisse. Ca devient vraiment abusif".
Il y a quelques semaines, le coursier a dérapé et chuté: une côte fêlée et une semaine d'arrêt. De travail comme de salaire. "On est indépendant donc on n'a droit à rien".
A 40 ans, il a pourtant maintenant deux enfants et "un projet de maison". "Sans contrat de travail, c'est difficile", explique-t-il à l'AFP.
Alors Bruno n'hésite pas quand il rencontre lors d'une manif pro-vélo Xavier Caron. L'informaticien, qui voulait "un métier au grand air après six années devant un écran", lui propose de monter une coopérative de livreurs à vélo, comme celles qui germent un peu partout dans le monde, et qui offrent, elles, un contrat de travail.
Un mois plus tard, naît A2ROO (prononcez "à deux roues"), une association de livraisons "éthique". "Nous voulons montrer qu'il y a une alternative sociale à la jungle des grandes plateformes", explique à l'AFP Xavier Caron.
"Nous voulons apporter une sécurité au travers d'un contrat de travail avec l'ouverture des droits au chômage et à la sécurité en cas d'accident", explique le président d'A2ROO, qui offre le Smic et un vélo de fonction.
"Un contrat de travail, ça change énormément", s'enthousiasme Cyril Jeanpierre, coursier à Dijon. "Sur les plateformes, on est payé au lance-pierres: on peut être connecté pendant trois heures et n'avoir que trois courses à 2,50 euros. Au début, j'arrivais à en vivre mais la prolifération des livreurs diminue le chiffre d'affaires. Je pouvais me faire 1.500 par mois. C'est moins 30% maintenant", explique cet ancien représentant du syndicat CGT des coursiers.
- "Oui, ça marche" -Bon pour les livreurs, le modèle social A2ROO est également bon pour les clients, selon David Zuddas, du restaurant DZ'envies, à Dijon.
"Il était hors de question que je prenne part à l'exploitation de l'homme par l'homme", confie le chef, qui a participé à la création d'A2ROO. "Les Uber Eats et autres ne donnent pas une juste rémunération à leurs livreurs alors qu'ils demandent (au restaurateur) une commission de 25-30%" (contre 10% pour A2ROO), accuse-t-il.
Le calcul est vite fait, selon Xavier Caron: "Sur 40 euros par exemple, la plateforme se prend 13 euros mais n'en donne que 3 au livreur: ils se font de gros bénéfices qui aboutissent dans les paradis fiscaux".
Avec seulement cinq coursiers, l'association fait encore figure de Petit Poucet. Mais elle espère la rentabilité "d'ici l'an prochain", selon son président, qui tire son optimisme de l'actuel succès du modèle.
La fédération CoopCycle, qui regroupe les associations salariant les livreurs, en compte 35 en France. "On a commencé avec des associations de deux ou trois personnes et maintenant, on en a plusieurs qui ont 30-40 salariés", se félicite son coordinateur, Adrien Claude.
"On le prouve au quotidien: le modèle salarial dans ce milieu-là est non seulement possible mais, en plus, c'est moins cher et pour de meilleurs services. Oui, ça marche", martèle M. Claude.
Certaines plateformes finissent même par s'y mettre: le groupe anglo-néerlandais Just Eat a ainsi tout récemment annoncé l'embauche de 4.500 salariés.
"On fait bouger les lignes à notre échelle", assure Adrien Claude qui, en revanche, "n'attend pas grand chose" de l'ordonnance promise par le gouvernement "d'ici avril".
Elle envisage certes la couverture des accidents du travail et l'octroi de droits au chômage "mais pas le salariat", regrette Adrien Claude. "Si ce sont les livreurs qui doivent payer les cotisations, cela grève leur rémunération nette - donc ils refuseront".
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