L'opposition des indépendantistes à la vente de l'usine de nickel du Brésilien Vale en Nouvelle-Calédonie est devenue un véritable enjeu politique, alors qu'ils ont provoqué mardi la chute du gouvernement collégial de l'archipel, peu avant la conclusion de la vente.
Une réunion visant à faire valider par les exécutifs des collectivités l'offre du consortium calédonien et international dans lequel figure le géant du négoce en matières premières, Trafigura, prévue pour le 12 février, aurait été avancée à mercredi, selon plusieurs sources.
Pourquoi le nickel est-il vital pour la Nouvelle-Calédonie?L'exploitation du nickel, indispensable à la fabrication d'acier inoxydable, est le poumon économique du Caillou, qui détient 25% des ressources mondiales.
Le territoire compte trois usines: l'usine Doniambo de la SLN (2.150 emplois), filiale du groupe minier français Eramet, à Nouméa; l'usine Vale à Goro, dans le sud (3.000 salariés directs et indirects); l'usine KNS (Koniambo Nickel SAS), à Koniambo dans le nord, dont la province dirigée par les indépendantistes détient 51% des parts (800 salariés).
Mais concurrencées par des pays producteurs à bas coûts (Chine, Indonésie, Philippines), ces usines n'étaient pas compétitives et plusieurs mois de crise les ont encore affaiblies.
L'usine Vale est à l'arrêt depuis le 10 décembre après avoir été la cible d'une attaque menée par des opposants à son rachat. Les dégâts causés par deux mois de violences sont chiffrés à plus de 16 millions d'euros par Vale.
Mais les opposants à la reprise de l'usine ont aussi ciblé la SLN depuis début décembre en entravant son fonctionnement, dans le but de faire "pression sur l'Etat", actionnaire d'Eramet (26%).
Pourquoi Vale veut il vendre?Vale veut se désengager de son usine calédonienne, adossée au richissime gisement de Goro, qui est un gouffre financier - 2 milliards de dollars de pertes depuis 2014.
Vale a annoncé le 9 décembre la vente à Prony Resources, qui associe à hauteur de 50% des intérêts calédoniens (collectivité provinciale, salariés et société civile calédonienne), de 25% la société Trafigura basée en Suisse - géant du négoce de pétrole et métaux - et de 25% une société d'investissement multipartite.
Autorité de régulation et propriétaire des sous-sols, la province Sud, dirigée par des loyalistes, soutient ce projet, tout comme l'Etat français, impliqué dans ce dossier par le biais d'importants soutiens financiers.
Pour faire avancer le projet, le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, a proposé début janvier "une implication plus forte de l'Etat" dans la reprise de l'usine de Vale en posant deux conditions à cette offre: "les leaders indépendantistes doivent revenir à la table des négociations" et "si la Nouvelle-Calédonie devient indépendante, la France se désengagera" de cette usine.
Pourquoi le sujet est-il aussi explosif?Cette transaction intervient juste après un deuxième référendum sur l'indépendance, le 4 octobre 2020, remporté d'une courte tête par les partisans d'une Nouvelle-Calédonie française (53,3%), et qui a exacerbé les clivages entre communautés Kanak et européenne. Un troisième vote devrait se tenir d'ici à 2022.
Pour les indépendantistes du FLNKS, le nickel est le socle d'une indépendance viable et doit rester "sous le contrôle de la puissance publique".
Le nickel était déjà au centre de la revendication indépendantiste lors de la négociation de l'accord de Nouméa (1998) destiné notamment à "rééquilibrer" les richesses de l'archipel en faveur des Kanak après des années de tensions et de violences.
Aujourd'hui, les deux référendums et les tensions autour du nickel ont ravivé les antagonismes, faisant craindre la résurgence des "événements" violents des années 80.
Pourquoi les indépendantistes refusent-ils cette vente?Le FLNKS, mais aussi le collectif "usine du sud-usine pays", et l'instance coutumière autochtone de négociation (Ican) considèrent qu'il s'agit d'une opération "de pure spéculation boursière et de hold-up", et veulent barrer la route à Trafigura, "un trader qui a maille à partir avec la justice au sujet de trafic de déchets toxiques", selon Victor Tutugoro, porte-parole du FLNKS, en allusion à de précédentes condamnations du géant du négoce pétrolier.
Les indépendantistes avaient combattu une autre offre de reprise, celle du groupe minier australien New Century Resources, qui a finalement renoncé en septembre 2020.
Ils défendaient une offre portée par la Sofinor et Korea Zinc. Mais Korea Zinc a annoncé début décembre qu'il se retirait de l'offre.
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