Les avocats de l'héritière d'un tableau de Camille Pissarro, spolié par les nazis à ses propriétaires juifs pendant l'Occupation en France, ont demandé mardi à la justice française d'ordonner à une université américaine de renoncer à ses poursuites contre leur cliente.
"La bergère rentrant des moutons", peint en 1886 par le peintre impressionniste français, est l'objet d'une intense bataille judiciaire entre Léone Meyer, 81 ans, - une orpheline rescapée de la Shoah, adoptée à la fin de la Seconde Guerre mondiale par les propriétaires du tableau - et l'université de l'Oklahoma qui l'a reçu en legs en 2000.
Le tribunal de Paris fera connaître sa décision le 13 avril. Il répondra aussi à une autre demande de Mme Meyer concernant la mise sous séquestre du tableau.
Saisie par l'université de l'Oklahoma, la justice américaine a ordonné à Mme Meyer de cesser toutes les procédures entamées en France sous peine de plusieurs millions de dollars de sanctions.
L'oeuvre, un des premiers tableaux pointillistes de Pissarro (1830-1903), faisait partie de la collection de Raoul Meyer et Yvonne Bader, fille du fondateur des grands magasins Galeries Lafayette. En 1940, cette famille juive pense la mettre à l'abri dans le coffre d'une banque de Mont-de-Marsan, dans le sud-ouest de la France. Mais, en 1941, les nazis s'en saisissent.
À la fin de la guerre, la famille récupère une partie de ses biens mais pas "La Bergère". En 1951, le tableau refait surface en Suisse avant de réapparaître à New York. Acheté par un couple de collectionneurs américains en 1957, il est légué en 2000 à la Fondation de l'université de l'Oklahoma.
- Allers-retours perpétuels -
Mme Meyer souhaite récupérer le tableau spolié à ses parents adoptifs. En 2013, elle retrouve sa trace et entame des négociations avec l'université de l'Oklahoma qui aboutiront à un accord en 2016.
Ne pouvant pas aller à l'encontre d'une décision de justice américaine, les avocats de Mme Meyer ont demandé à leur tour à la justice française d'ordonner à l'université de "se désister" de toutes ses poursuites contre leur cliente.
Selon la justice américaine, Mme Meyer n'a pas respecté le contrat conclu entre elle et l'université en 2016.
Cet accord, aujourd'hui dénoncé par Mme Meyer, reconnaît la propriété de l'héritière sur le tableau spolié mais prévoit que la toile soit exposée pendant cinq ans dans un musée français, avant de faire la navette tous les trois ans entre Paris et l'Oklahoma. L'oeuvre de Pissarro, l'un des pères de l'impressionnisme, est actuellement au musée d'Orsay et devrait ainsi repartir aux États-Unis en juillet.
Une autre clause oblige Mme Meyer à léguer la toile, de son vivant, à un établissement d'art qui s'engage à respecter ces allers-retours perpétuels, sous peine d'être rendue à l'État américain à la mort de l'héritière. Le musée d'Orsay a refusé le don, inquiet du coût de tels allers-retours et des dommages que cela pourraient causer au tableau.
"Un contrat, c'est sacré", a argumenté Me Olivier de Baecque au nom de l'université américaine.
"Une transaction est sacrée mais ce qu'il y a encore de plus sacré, c'est de restituer un bien spolié par la Gestapo", a répliqué Me Ron Soffer, avocat de Mme Meyer.
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