Le débat autour de l'affaire Adama Traoré, devenue symbole des violences policières en France, est relancé: une nouvelle expertise judiciaire conclut que le jeune homme noir est décédé en 2016 d'un "coup de chaleur", qui n'aurait "probablement" pas été mortel sans l'interpellation des gendarmes.
Pour l'avocat de la famille Traoré, Me Yassine Bouzrou, cette expertise est un "tournant" et justifie une mise en examen des trois militaires impliqués, dont les avocats ont au contraire défendu lundi la légitimité des "gestes réglementaires" de leurs clients.
Le 19 juillet 2016, Adama Traoré, 24 ans, est mort en région parisienne, près de deux heures après son arrestation au terme d'une course-poursuite, un jour de canicule où la température avait frôlé les 37°C. Son décès a été suivi de plusieurs nuits de violences dans la ville dont il était originaire et les communes voisines.
Ce rapport médical, dévoilé lundi par l'hebdomadaire L'Obs et consulté par l'AFP, a été commandé en juillet dernier par les juges d'instruction parisiens, dans l'impasse après quatre ans de bataille d'expertises contradictoires.
Plusieurs collèges d'experts de la justice ont écarté la responsabilité des gendarmes sans s'accorder sur les causes du décès, tandis que la famille et ses médecins accusent les militaires d'avoir pratiqué un "plaquage ventral" qui a causé une "asphyxie positionnelle" fatale de la victime.
S'ils rejettent cette dernière piste, les auteurs belges de la nouvelle expertise estiment que "l'intervention dans le processus létal d'une période d'asphyxie +par contrainte physique+ ne peut être écartée".
Les gendarmes, seuls témoins de la scène dans l'appartement où Adama Traoré s'était caché après avoir fui une première interpellation, ont raconté avoir menotté le jeune homme, qui se débattait allongé sur le ventre, en s'y mettant à trois, l'un d'eux appuyant ses genoux sur son dos.
"La procédure d'immobilisation ne semble pas particulièrement agressive mais n'est pas particulièrement prudente non plus d'autant que le sujet semblait un instant auparavant, selon un témoin, déjà en situation de difficulté respiratoire", écrivent les médecins.
Les experts concluent que "M. Adama Traoré a très vraisemblablement développé un coup de chaleur" après une course poursuite "relativement brève mais intense", sous adrénaline et en pleine canicule. Deux heures après le décès, la température de son corps était de 39,2 °C.
Pour expliquer l'aggravation de son état de santé "inhabituellement rapide", les médecins évoquent deux possibles facteurs: les "manoeuvres momentanées de contrainte" des gendarmes et, "dans une plus faible mesure", les "états pathologiques sous-jacents" du jeune homme.
Adama Traoré souffrait d'une maladie génétique, la drépanocytose, associée à une pathologie rare, la sarcoïdose.
Au terme de leur rapport d'une centaine de pages signé le 13 janvier, les médecins belges concluent que "cette évolution" fatale du coup de chaleur "n'aurait probablement pas eu lieu sans l'intervention de ces facteurs aggravants".
"Les gestes règlementaires opérés par les trois gendarmes l'ont été au regard de la rébellion d'Adama Traoré", ont réaffirmé lundi leurs avocats Mes Rodolphe Bosselut, Pascal Rouiller et Sandra Chirac Kollarik, ajoutant que leurs clients "étaient dans l'ignorance la plus complète des antécédents médicaux de cet homme".
"Cette expertise médicale est un tournant car pour la première fois des experts nommés par les juges affirment que les gestes des gendarmes ont causé la mort d'Adama Traoré. Jusqu'alors, seuls les médecins mandatés par les parties civiles l'avaient affirmé", s'est félicité Me Bouzrou.
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