"Sur les 40 personnes qui voulaient se faire vacciner, il n'en est resté que dix", soupire Iouri Chylenko, chef d'un département chirurgical à Kiev, la capitale ukrainienne.
En Ukraine, où la vaccination contre le Covid est la traîne du fait de couacs logistiques mais aussi de sentiments anti-vaccin très répandus, les déboires de l'injection d'AstraZeneca, ajoutent de l'huile sur le feu.
Une douzaine de pays dont l'Italie et l'Espagne ont suspendu ces dernières jours par précaution l'utilisation de ce vaccin, après le signalement de problèmes sanguins chez des personnes vaccinées, même si aucun lien avéré n'existe à ce stade et que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande de continuer la vaccination.
En Ukraine, pays parmi les plus sceptiques à l'égard des vaccins d'une manière générale, selon une publication du magazine américain Nature en 2019, ces décisions n'ont fait qu'exacerber les craintes, y compris auprès des soignants.
D'autant que le produit AstraZeneca déployé sous le nom de Covishield, le seul vaccin disponible dans le pays à hauteur de 500.000 doses pour 40 millions d'habitants, a fait face dès sa livraison en février à la défiance de nombreux Ukrainiens qui lui reprochent, sans raison avérée, d'être fabriqué en Inde et non en Occident.
Dans ce contexte, même chez les professionnels médicaux la résistance à la vaccination se développe.
Sergiï Svyrydovsky, un chirurgien de 48 ans, prévoyait de se faire immuniser avant de changer d'avis en raison d'"une réaction négative de la communauté internationale et des effets secondaires".
"Ce n'est pas pour rien que sept pays ont suspendu la vaccination", dit à l'AFP cet homme robuste.
Son chef à l'hôpital numéro 5 de Kiev, M. Chylenko, constate "un fort impact" des récents problèmes d'AstraZeneca sur ses collaborateurs, surtout des infirmiers.
Le ministre de la Santé, Maksym Stepanov a lui déclaré lundi à l'AFP que le pays ne prévoyait pas de suspendre l'administration du vaccin tout en admettant que le battage médiatique avait porté un coup à la confiance des soignants.
- Hystérie -
"Je pense que cette influence ne sera que de courte durée", a espéré le ministre qui avait déjà dénoncé début mars une "hystérie anti-vaccin" en Ukraine, exhortant les personnels médicaux à accepter l'injection.
Au départ, seuls 38% des soignants traitant les malades du coronavirus se sont inscrits pour se faire vacciner, selon le ministre. Entre 20% à 30% d'autres ont guéri récemment, comptent sur leurs anticorps.
Cette ex-république soviétique au système de santé très délabré a commencé sa campagne d'immunisation le 24 février, et n'a couvert à ce jour avec une première dose qu'à peine plus de 53.000 personnes, essentiellement des soignants et militaires.
M. Stepanov met en cause surtout des difficultés logistiques et des "fausses informations" sur les vaccins propagées par des politiques dont l'ex-président Petro Porochenko, aujourd'hui député, qui a publiquement qualifié de "m..." le vaccin acheté par le gouvernement.
Pour apaiser les craintes, les autorités ont fait la publicité de l'immunisation de personnalités, à commencer par le président Volodymyr Zelensky, qui s'est fait vacciner avec des militaires.
Sauf que rassurer les Ukrainiens, dont la confiance dans leur gouvernement est au plus bas, sur fond de scandales de corruption, n'est pas facile: beaucoup estiment par exemple que les célébrités ne reçoivent pas le même vaccin que les gens ordinaires, détaille le docteur Chylenko, 55 ans.
"Des gens ont des choses sombres dans leurs tête, la méfiance et la peur", regrette-il.
La directrice adjointe de son hôpital, Elmira Mamedova, met en cause "le manque d'informations" fiables et des propos irresponsables de politiques, tout en montrant fièrement la file d'attente de collègues attendant eux l'injection.
"Je ne persuade personne. Je dis (à mes subordonnés) que c'est nécessaire" pour "rencontrer ses amis", "voyager et continuer à vivre", lance l'infectiologue de 55 ans aux cheveux noirs, qui s'est fait vacciner lundi.
ant/alf/pz
ASTRAZENECA