Depuis deux mois, le parlementaire zimbabwéen Job Sikhala paie le prix de son opposition au gouvernement en dormant sur le sol, isolé dans sa cellule d'une vieille prison de haute sécurité à Harare.
Ce n'est pas nouveau pour ce trublion âgé de 50 ans qui a été arrêté 67 fois en une vingtaine d'années, mais jamais condamné, selon son avocate.
Ses derniers ennuis judiciaires, dans un pays coutumier des détentions arbitraires, interviennent au moment où les défenseurs des droits humains estiment qu'un nouveau seuil a été franchi dans la répression de la dissidence en amont des élections l'année prochaine.
"C'est pire que sous Mugabe maintenant", a assuré à l'AFP Beatrice Mtetwa, l'avocate de M. Sikhala en évoquant l'ancien héros de l'indépendance Robert Mugabe devenu despote.
Les ministères de la Justice et de l'Information du Zimbabwe, de même que le parquet, n'ont pas répondu aux demandes de commentaires.
M. Sikhala a été arrêté en juin, avec un autre élu d'opposion Godfrey Sithole, après un discours donné pendant les funérailles d'une membre de l'opposition, Moreblessing Ali, dont le corps mutilé avait été retrouvé dans un puits quelques jours auparavant.
Avocat de métier, M. Sikhala avait dit à l'assistance que l'esprit de la victime reviendrait pour se venger, selon son avocat.
La journée avait été marquée par ce que la police a appelé une "orgie de violence publique".
Des soutiens du Zanu-PF, le parti au pouvoir, auraient harcelé les membres de l'opposition rassemblés aux funérailles. En retour, les opposants ont incendié la maison d'un responsable du Zanu-PF.
M. Sikhala a été accusé d'incitation à la violence et obstruction à la justice, en raison de son discours, et d'avoir suggéré que des membres du Zanu-PF étaient derrière le meurtre de Moreblessing Ali.
Mais la police, qui a évoqué une "affaire privée", a annoncé avoir arrêté un suspect, Pius Jamba, présenté comme l'ancien amant de la militante.
- Vague répressive -De leur côté, les avocats de M. Sikhala ont réfuté tout lien entre leur client et les violences.
Amnesty International a qualifié l'affaire de "politique" et de "parodie de justice". Sa directrice pour le Zimbabwe, Lucia Masuka, a dit à l'AFP qu'il s'agit d'une habitude, observée ces dernières années, d'incriminer et d'arrêter des opposants, souvent pour incitation à la violence.
Les cas les plus connus concernent le romancier Tsitsi Dangarembga, arrêté en 2020, et trois militantes arrêtées la même année et accusées d'avoir simulé leur propre enlèvement.
Cette vague répressive intervient alors que le gouvernement du président Emmerson Mnangagwa, qui a remplacé Robert Mugabe en 2017, se bat pour juguler une inflation galopante qui a dépassé 250% en juillet, ainsi qu'une pauvreté généralisée et des coupures d'électricité.
Des élections générales doivent avoir lieu en 2023.
"Il y a un effondrement économique, les choses ne fonctionnent pas du tout", a dit Mme Masuka avant d'ajouter: "les gens sont mécontents".
En s'attaquant aux opposants, le gouvernement envoie un message pour décourager ceux qui seraient tentés par l'activisme, a-t-elle estimé.
Selon Mme Mtetwa, M. Sikhala est détenu seul dans une cellule habituellement utilisée pour de dangereux criminels et entravé aux pieds à chaque sortie.
"Il doit dormir sur le sol et nous avons eu un hiver très froid", a dit Mme Mtetwa soulignant que la détention en cellule solitaire est généralement réservée aux détenus considérés comme dangereux.
M. Sikhala, un des responsables du principal mouvement d'opposition, la Coalition des citoyens pour le changement (CCC), encourt dix ans de prison s'il est condamné.
Son avocate a assuré qu'elle avait peu d'espoir de le voir sortir bientôt, car les juges indépendants ont été écartés ou limogés sous la présidence de M. Mnangagwa, dit-elle.
"Le but n'est pas tant de le condamner mais de le harceler et le maintenir en détention aussi longtemps que possible", a-t-elle ajouté.
Le Zimbabwe Human Rights NGO Forum, un collectif d'organisations de défense des droits humains, a enregistré 114 cas d'arrestations arbitraires dans le pays au cours de six premiers mois de cette année.
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