Salman Rushdie, menacé de mort depuis plus de 30 ans, reste hospitalisé samedi dans un état grave après avoir été poignardé aux Etats-Unis par un jeune homme d'origine libanaise, une attaque qui soulève l'indignation en Occident mais est saluée par des extrémistes en Iran et au Pakistan.
Rien n'a filtré samedi sur l'état de santé de l'auteur des "Versets sataniques", écrivain britannique et américain à la renommée mondiale, soigné en urgence et sous assistance respiratoire dans un hôpital d'Erié, en Pennsylvanie, au bord du lac qui sépare les Etats-Unis du Canada.
L'attentat provoque une onde de choc, surtout dans les pays occidentaux: le président américain Joe Biden a condamné "une attaque brutale" et rendu hommage à M. Rushdie pour son "refus d'être intimidé et réduit au silence".
- D'origine libanaise -L'agresseur, aussitôt arrêté et en détention depuis vendredi, s'appelle Hadi Matar, a 24 ans et vit dans l'Etat du New Jersey, selon les autorités. Il est "poursuivi pour tentative de meurtre et agression", a annoncé samedi le parquet local, précisant que la police fédérale (FBI) enquêtait sur ce crime à la dimension internationale.
Selon Ali Qassem Tahfa, chef du village de Yaroun, dans le sud du Liban, Hadi Matar "est d'origine libanaise".
"Il est né et a grandi aux Etats-Unis. Sa mère et son père sont de Yaroun", a déclaré à l'AFP M. Tahfa.
En Iran, le quotidien ultraconservateur Kayhan l'a félicité: "Bravo à cet homme courageux et conscient de son devoir qui a attaqué l'apostat et le vicieux Salman Rushdie", écrit le journal. "Baisons la main de celui qui a déchiré le cou de l'ennemi de Dieu avec un couteau".
Et au marché aux livres de Téhéran, tout le monde était au courant de l'attaque, mais seuls ceux la soutenant se sont exprimés: "J'étais très heureux d'apprendre la nouvelle. Quel que soit l'auteur, je lui baise la main (...) Que Dieu maudisse Salman Rushdie", a lancé Mehrab Bigdeli, un religieux chiite.
- Rushdie "méritait d'être tué" -Au Pakistan voisin, le parti Tehreek-e-Labbaik Pakistan -- réputé pour sa violence contre ce qu'il appelle du blasphème antimusulman -- a jugé que Rushdie "méritait d'être tué".
L'agression a eu lieu vendredi à 11H00 (15H00 GMT) dans un amphithéâtre d'un centre culturel à Chautauqua, dans l'Etat de New York, lorsqu'un homme s'est "précipité sur la scène" et a "poignardé" Rushdie plusieurs fois "au cou" "à l'abdomen", selon la police.
"Les nouvelles ne sont pas bonnes", avait indiqué vendredi soir son agent américain Andrew Wylie.
"Salman va probablement perdre un oeil, les nerfs de son bras ont été sectionnés et il a été poignardé au niveau du foie", avait-t-il détaillé en précisant que son client était sous respirateur artificiel.
Salman Rushdie, né en 1947 en Inde dans une famille d'intellectuels musulmans non pratiquants, avait embrasé une partie du monde islamique avec la publication des "Versets sataniques", conduisant l'ayatollah iranien Rouhollah Khomeiny à émettre en 1989 une fatwa demandant son assassinat.
L'auteur d'une quinzaine de romans, récits pour la jeunesse, nouvelles et essais écrits en anglais avait été contraint de vivre dans la clandestinité et sous protection policière, allant de cachette en cachette
- Condamnations -Naturalisé américain en 2016 et vivant à New York depuis 20 ans, Salman Rushdie avait repris une vie à peu près normale tout en continuant de défendre, dans ses livres, la satire et l'irrévérence.
Coïncidence, le magazine allemand Stern l'a interviewé quelques jours avant l'attaque et en publie samedi un extrait: "Depuis que je vis aux Etats Unis, je n'ai plus de problème (...) Ma vie est de nouveau normale", assure l'écrivain en se disant "optimiste" mais en rappelant que "les menaces de mort sont devenues quotidiennes".
La "fatwa" de l'Iran n'a de fait jamais été levée et beaucoup de ses traducteurs ont été blessés par des attaques, voire tués, comme le Japonais Hitoshi Igarashi, poignardé à mort en 1991.
Aux Etats-Unis, les sites de vente en ligne comme Amazon ont constaté une hausse des commandes pour les "Versets sataniques" et une cheffe de rayon de la librairie new-yorkaise Strand Bookstore, Katie Silvernail, raconte que "des gens viennent voir ce qu'il a écrit et savoir ce qu'on a" en stock.
"Son combat est le nôtre, universel", a lancé vendredi soir le président Emmanuel Macron, tandis que le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres s'est déclaré "horrifié".
Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a dénoncé samedi une "attaque lâche", et un "affront à la liberté d'expresion".
Le Premier ministre britannique Boris Johnson s'est dit "atterré que Sir Salman Rushdie ait été poignardé alors qu'il exerçait un droit que nous ne devrions jamais cesser de défendre".
"Rien ne justifie une fatwa, une condamnation à mort", s'est indigné Charlie Hebdo, journal satirique français décimé par un attentat islamiste en janvier 2015.
burs-nr/emp
THE NEW YORK TIMES COMPANY
TWITTER