Dans une dense forêt, les arbres tombent un par un, fauchés par une abatteuse dans un bruit de craquement. La Russie veut miser d'avantage sur le bois pour s'affranchir de sa dépendance aux hydrocarbures.
Dans la région de Vologda, 500 km au nord-est de Moscou, bouleaux et pins s'étendent à perte de vue. Une forte odeur de résine poivrée et de bois coupé flotte, tandis que les machines modernes américaines et autrichiennes du groupe Segezha abattent les arbres puis les transportent vers une usine voisine.
Dmitri Roudenko pense que le grand moment du bois russe est arrivé. "Ce que nous voyons aujourd'hui, c'est l'essor de la construction en bois. C'est l'avenir de la Russie", affirme le vice-président de ce groupe dans les locaux moscovites de la holding Sistema, dont Segezha fait partie.
Un cinquième des forêts mondiales se trouve en territoire russe et exploiter davantage cette ressources permettrait de réduire une dépendance quasi-maladive aux hydrocarbures.
A l'heure où l'environnement devient une préoccupation croissante des investisseurs, le bois - matériau de construction beaucoup plus écologique que le béton - est un secteur prometteur.
- "Bel avenir" -
Déjà leader des emballages en papier et de divers types de bois pour la construction, Segezha vient de lancer la première usine en Russie de fabrication de panneaux CLT, ou bois lamellé-croisé, un des éléments essentiels pour construire des immeubles de grande hauteur en bois.
Le secteur des immeubles collectifs en bois se développe en Europe mais il est balbutiant en Russie, où les constructeurs espèrent obtenir un feu vert des autorités dans les prochains mois.
S'il concède qu'il s'agit encore d'une "niche", le groupe exporte en Allemagne, Autriche, Italie et au Japon en attendant que le marché russe décolle.
"Les biomatériaux (...) ont un bel avenir. La demande des consommateurs pour des produits écologiques et naturels augmente", s'enthousiasme Marina Zotova, analyste de l'agence spécialisée WhatWood.
"La qualité du bois russe est à égalité avec celui des Finlandais et des Nord-américains", ajoute-t-elle, vantant "la beauté époustouflante" de la texture de certains arbres de Sibérie.
Pour Andreï Frolov, vice-président de l'Union des industriels du bois de Russie, si le secteur a de "bonnes perspectives, principalement sur le marché étranger", il faudra encore "de sérieux investissements" pour qu'il devienne un produit clé des exportations russes, à l'instar du pétrole et du gaz
Selon lui, cela n'est envisageable qu'à un horizon de 10 à 15 ans. Pour l'instant, les hydrocarbures comptent encore pour moitié des exportations russes en volume, tandis que le bois et ses dérivés tournent autour de 3%.
En attendant, les autorités prévoient d'interdire à partir de 2022 l'exportation "brute" de troncs de certains types d'arbres. Selon les chiffres de 2019 l'agence de l'ONU pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO), la Russie est le deuxième plus gros exportateur du monde de bois brut après la Nouvelle-Zélande.
L'objectif russe est de se défaire de l'exportation de simples matières premières afin de transformer davantage et exporter des produits de plus grande valeur.
- Renouvellement des forêts -
De retour dans les forêts de Vologda, le directeur du site Ilya Moskaliov assure que les arbres coupés - qui ont jusqu'à soixante-dix ans - sont tous replantés.
"Le bois est un matériau de construction renouvelable si la forêt est correctement gérée. On coupe la forêt puis on en plante une nouvelle, c'est une source inépuisable", confirme à l'usine le responsable Konstantin Pastoukhov.
Il y a eu du progrès depuis les années 1990, où la coupe et l'exportation illégale de bois enrichissaient les industriels.
Selon Alexeï Iarochenko, chef du département forestier de Greenpeace, seul 3% du bois est coupé illégalement. Mais le renouvellement des forêts n'est pas assuré: "Sur le papier tout est restauré, mais pas dans la vie", regrette-t-il, dénonçant une absence de suivi.
Le Fonds mondial pour la nature (WWF) a demandé vendredi aux autorités d'ouvrir aux citoyens les données sur les forêts russes, afin de garantir une meilleure transparence.
En outre, les groupes environnementaux critiquent les autorités qui, alors que les incendies se multiplient ces dernières années en raison du réchauffement climatique, laissent brûler les forêts dans les zones reculées.
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