"Il est devenu policier pour mieux continuer à être un délinquant": l'accusation a requis jeudi huit ans de prison contre un brigadier "corrompu" de la brigade anti-criminalité (BAC) du XVIIIe arrondissement de Paris, et des peines allant du sursis à 18 mois ferme contre cinq de ses collègues.
Les deux représentants du ministère public se sont levés pour leur réquisitoire, après cinq jours d'audience, au cours desquels ont comparu six policiers de la même équipe ainsi que deux informateurs officieux.
Dans son box vitré, était assis le principal prévenu, Karim M. dit "Bylka" (kabyle en verlan).
Un homme qui "est passé de l'autre côté depuis longtemps, trop longtemps", a estimé la procureure Morgane Couchet.
"Il a infiltré l'institution policière pour mieux s'en servir de l'intérieur et poursuivre son chemin de délinquant", selon la magistrate. "Oui, il est blanchisseur, dealer, voleur, faussaire, corrompu, l'homme de ses affaires, mais certainement pas policier".
Coupable, il l'est bien d'avoir, les 17 et 19 avril 2017 en lien avec l'un de ses "indics", piégé deux hommes afin de les coffrer avec de la cocaïne - en récupérant, au passage, 80.000 euros, a affirmé Mme Couchet.
Coupable, il l'est bien d'avoir, entre 2017 et 2019, monnayé sa protection en faisant souscrire une "assurance" à des dealers, poursuit la procureure : des "enveloppes" d'argent liquide qui permettaient à ceux qui payaient de travailler "tranquillement".
"Karim M. n'a jamais été policier, il est devenu policier pour mieux continuer à être un délinquant, en abusant de ses fonctions à des fins purement personnelles", a tranché la procureure, rappelant qu'avant son intégration dans la police, Karim M. avait déjà été condamné deux fois.
- "Règles du jeu" -Tout au long du procès, le policier a réfuté avoir reçu de l'argent ou abusé de son pouvoir. La défense a mis en exergue une "pression" hiérarchique liée à une "culture du résultat", l'équipe devant remplir un quota de 30 interpellations par mois.
Dans les débats ont été régulièrement évoquées les relations complexes entre un policier et son informateur - bien que cette pratique ne soit pas autorisée à la BAC.
"Des leurres" visant à "égarer le tribunal", a balayé le deuxième représentant du ministère public, Yves Badorc.
Deux informateurs officieux de "Bylka", Ahmad M. surnommé "L'Hindou" et Abdoulaye D., comparaissaient aux côtés des policiers, l'un pour corruption et trafic de stupéfiants, l'autre pour cette seconde infraction seulement. Cinq ans de prison et 10 mois ferme ont été requis à leur encontre.
"Qui est en vérité, au fond, Karim M. ?", a demandé M. Badorc. "Un policier de terrain félicité pour ses actions, ou un assureur sauvage", "un banquier", "un collecteur de chèques", "un porteur de valise de cash ?"
Car l'enquête a montré que Karim M. faisait du blanchiment, un "cas d'école", selon M. Badorc. Le policier ne retirait jamais d'espèces "et pourtant, du liquide, il en avait sur lui", a ironisé le magistrat, en retraçant longuement les investigations financières.
Cinq autres policiers écoutaient, assis sur une chaise.
Pour Aaron B., considéré comme l'adjoint de Karim M., l'accusation a demandé trois ans de prison dont 18 mois avec sursis pour faux et vol par personne dépositaire de l'autorité publique. Avec, là aussi, une interdiction définitive d'exercer.
A l'encontre des quatre autres prévenus, les magistrats ont requis de peines allant de 12 mois avec sursis à six mois ferme.
Membres de la même équipe, ils sont soupçonnés d'avoir falsifié une procédure en faisant croire, le 21 avril 2019, qu'un suspect avait de la drogue sur lui - en réalité confisquée à un autre la veille.
Deux d'entre eux sont poursuivis pour des violences, ce jour-là, dans le véhicule de la BAC.
"Les fonctionnaires de police ont triché", a tancé la procureure. "Ils ont changé les règles du jeu, les règles de la loi".
Les plaidoiries de la défense doivent se poursuivre jeudi soir et vendredi.
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