La Cour suprême du Pakistan a commué mercredi la condamnation à mort de deux détenus souffrant de schizophrénie, dans un jugement qui prend le contrepied d'une décision antérieure et devrait faire précédent.
La plus haute instance judiciaire du pays a estimé que la peine capitale ne devait pas être appliquée aux cas de Kanizan Bibi et Imdad Ali, une femme et un homme qui ont passé respectivement 30 et 18 ans dans le couloir de mort.
Elle les a condamnés à la prison à perpétuité et a ordonné leur transfert vers un hôpital psychiatrique.
La Cour a aussi demandé à l'administration pénitentiaire de déposer une nouvelle requête en grâce auprès de la présidence pour un autre condamné à mort schizophrène, Ghulam Abbas, emprisonné depuis 15 ans.
La Cour a rendu "un jugement qui fera date", a salué auprès de l'AFP l'organisation Justice Project Pakistan (JPP), qui a fourni une assistance juridique aux trois condamnés.
"Nous espérons que les directives détaillées dans le jugement vont imprégner chaque échelon du personnel judiciaire et pénitentiaire, pour que les maladies mentales puissent être détectées et soignées plutôt qu'ignorées et niées", a-t-elle ajouté.
La Cour examinait une requête en révision d'un jugement de 2016, dans lequel elle avait considéré que la schizophrénie n'était "pas une maladie mentale permanente" mais une affection "curable".
Cette décision, très critiquée par les défenseurs des droits humains, avait ouvert la porte à l'exécution d'Imdad Ali, condamné pour le meurtre d'un dignitaire religieux en 2002 et diagnostiqué comme "fou" en 2013 pendant son emprisonnement.
Les avocats de M. Ali avaient déposé un recours qui avait permis de surseoir à la dernière minute à son exécution.
Une convention internationale dont le Pakistan est signataire interdit de condamner à la peine capitale les personnes atteintes de déficiences mentale ou intellectuelle. L'ONU a appelé par le passé les autorités pakistanaises à s'y conformer.
Selon Amnesty International, des personnes dans ce cas croupissent dans les couloirs de la mort de quelques autres pays (États-Unis, Japon, Maldives...).
- 'Pas un mot' -
Leurs défenseurs plaident que justice n'est pas rendue en les exécutant, car ils n'ont conscience ni de leur crime ni de leur châtiment.
La Cour a aussi demandé que tous les détenus en couloir de la mort déjà soignés pour des troubles mentaux soient à nouveau examinés, pour s'assurer qu'ils ne soient pas exécutés s'ils sont réellement malades.
Près de 600 détenus reçoivent des soins psychiatriques au Pakistan, selon les statistiques du ministère des Droits de l'homme, qui ne précise pas combien parmi eux sont condamnés à mort.
Le Pakistan avait décrété en 2008 un moratoire sur la peine de mort. Il l'a levé en 2014 après le pire attentat de son histoire, mené par les talibans contre une école militaire de Peshawar (nord-ouest), qui a fait plus de 150 morts, dont une majorité d'écoliers.
Depuis cette date, le Pakistan a exécuté 516 personnes, selon JPP. Il est d'abord devenu l'un des pays au monde recourant le plus à la peine de mort avec 326 exécutions en 2015, mais ce chiffre a ensuite beaucoup baissé (14 en 2018 et 2019), d'après Amnesty.
Un seul malade mental, Munir Hussain, a été exécuté dans le pays sur cette période, en 2015. Selon sa famille, il était tellement diminué qu'il ne se rappelait plus des circonstances de son arrestation et ne reconnaissait plus ses proches.
Condamnée en 1991 à l'âge de 16 ans pour le meurtre d'une femme et de ses cinq enfants, qu'elle a toujours nié, Kanizan Bibi "n'a pas prononcé un mot depuis plus d'une décennie", note un rapport du ministère des Droits de l'homme.
Plus de 4.200 personnes condamnées à mort attendent leur exécution au Pakistan, où la justice accumule des retards considérables dans le rendu des décisions.
Les condamnations à la peine capitale sont souvent prononcées à l'issue de procès dénoncés comme non conformes aux normes internationales par les défenseurs des droits humains.
Selon JPP, 85% des condamnés à mort finissent par être acquittés par la Cour suprême, qui critique régulièrement le caractère infondé des sentences de première instance. Mais ils ont entretemps passé en moyenne 11 ans en prison.
Les personnes mentalement déficientes ne sont souvent pas repérées par le système judiciaire pakistanais. Ce n'est la plupart du temps qu'une fois en prison qu'elles commencent à recevoir des soins.
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