Pendant deux ans, les quatorze historiens de la commission Duclert ont passé au crible des dizaines de milliers d'archives françaises afin de déterminer le rôle de Paris avant, pendant et après le génocide des Tutsi au Rwanda, objet d'une intense controverse depuis plus de 25 ans.
Mise en place en mai 2019 par le président Emmanuel Macron pour "analyser le rôle et l'engagement de la France au Rwanda entre 1990 et 1994" à travers l'étude des archives, et pour contribuer à "une compréhension accrue" du génocide qui fit au moins 800.000 morts, la commission a, dès son acte de naissance, été en butte aux critiques.
Composée au départ de 15 membres, présidée par l'historien Vincent Duclert, elle ne compte en effet aucun spécialiste du Rwanda. Une décision voulue par l'Elysée et que M. Duclert déclare à l'AFP "assumer totalement", au nom de la "neutralité", pour éviter "les clivages" et les "passions terribles" suscitées par la tragédie de 1994 et la question du rôle de la France au Rwanda.
La commission, composée de spécialistes reconnus de la Shoah, du génocide arménien ou de la justice pénale internationale, se voit offrir l'accès aux archives françaises, réclamé à cor et à cri depuis des années par de nombreux chercheurs. Et tout particulièrement celles du président socialiste François Mitterrand, au pouvoir à l'époque. L'accès à ce fonds d'archives a été jusqu'à présent étroitement contrôlé, voire "verrouillé" selon certains, alimentant les questionnements et suspicions.
- Polémiques -
Les historiens de la Commission Duclert se divisent la tâche, pour étudier les documents présidentiels, ceux du Premier ministre de droite Edouard Balladur - la France vivait alors une période de "cohabitation"-, ainsi que les archives du ministère des Affaires étrangères, de la Défense, et de la DGSE (renseignement extérieur).
Les chercheurs ont également visionné les images d'archives de la Défense, "une mine d'or" selon M. Duclert, car elles documentent les trois opérations françaises au Rwanda entre 90 et 94: Noroît, Amaryllis et Turquoise.
M. Duclert s'est aussi rendu au Rwanda en février 2020 pour y rencontrer des chercheurs de ce pays.
Entre temps, d'autres polémiques éclatent à propos de la commission. Son "indépendance" revendiquée est mise en cause car elle est abritée dans des locaux du ministère des Armées à Paris.
"Uniquement pour des raisons pratiques", répond M. Duclert, le ministère disposant de connexions sécurisées.
Plus ennuyeux, la révélation fin octobre 2020 par le Canard Enchaîné des écrits d'une des membres de la Commission, Julie d'Andurain. Cette spécialiste de l'histoire militaire avait rédigé en 2018 un article dressant un bilan élogieux de Turquoise, l'opération militaro-humanitaire française au Rwanda menée à la fin du génocide entre juin et août 1994, au coeur des controverses sur le rôle de la France.
M. Duclert argue que Mme d'Andurain s'était mise en retrait de la commission dès le mois d'août 2020, et qu'elle n'a donc pas participé à rédaction du rapport, lancé à l'automne de l'année dernière.
"Ces attaques, ce climat d'hostilité, nous ont affectés, mais nous avons accompli notre mission. Et sur un sujet qui rend fou, cette commission est parvenue à travailler en accord, et nos conclusions ont été rédigées à l'unanimité", s'enorgueillit-il.
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