Musique: "Palais d'argile", monument sonore de Feu! Chatterton #
Nouveau coup d'éclat des rénovateurs de la chanson française: Feu! Chatterton signe "Palais d'argile", édifice de rock érudit et d'électro solaire, érigé avec l'architecte du son Arnaud Rebotini.
Le morceau "Cristaux liquides" condense la richesse de l'album (qui sort vendredi chez Universo em fogo/Caroline). A mi-chemin du titre, les déliés de guitares s'évanouissent devant une rythmique club.
"Oui, ce titre résume assez bien le disque", acquiesce Sébastien Wolf, guitares et claviers du groupe rencontré par l'AFP dans un studio de répétition à Pantin en région parisienne. "Il y a dans ce morceau, comme dans le disque, la recherche du raffinement et le lâcher prise", prolonge le chanteur Arthur Teboul.
On pourrait penser qu'Arnaud Rebotini, producteur électro réputé, s'est occupé de la fin du titre, "alors que c'est tout l'inverse, on avait déjà la partie club et lui nous a aidé pour la première moitié; c'est représentatif de notre collaboration avec lui", confie Clément Doumic, autre artificier aux guitares et claviers.
Le travail de Rebotini (César de la meilleure B.O. pour "120 battements par minute") ne s'est pas limité à sa présence en studio. "Il nous a prêté quelques uns de ses plus beaux synthés de collection et on est partis répéter dans les Cévennes avant d'aller en studio", raconte Sébastien.
Ce qui n'a pas été sans sueurs froides quand un de ces précieux instruments s'est fracassé à l'ouverture des portes de la camionnette du groupe. "C'est devenu le +synthégate+ (rires), +est-ce qu'on lui dit ? Est-ce qu'on tente de le réparer avant ?+", se souvient Clément.
"Il aurait pu dire +vous êtes des nazes, je ne veux pas travailler avec vous+, mais non, il a dit +ça arrive, ça se répare+, ça t'annonce un peu le bonhomme", ajoute Arthur.
Avec sa moustache de guerrier Hun et sa charpente massive, le producteur a de quoi impressionner. "Il est en fait à l'opposé de son physique, doux, humble", dépeint Clément, tandis que Raphaël de Pressigny, batteur, salue sa "culture musicale de disquaire monstrueuse".
Rebotini fut en effet passeur de vinyles dans la fameuse boutique Rough Trade à Paris. Il est resté ce guide, passé des rayonnages aux tables de mixage. "C'est Arnaud qui nous disait +voilà, la chanson, elle est là, vous l'avez+, ce qui est très important, sinon on aurait pu se perdre à expérimenter dans 12.000 directions", résume pour sa part Sébastien.
Car après la période d'acclimatation aux synthés vintage, Feu! Chatterton s'est offert un autre luxe en passant un mois d'enregistrement au célèbre studio ICP à Bruxelles.
"Dans les cabines à côté, il y avait Damso en train d'enregistrer; Laylow, un rappeur qu'on aime bien et Rilès pour qui notre batteur Raphaël a déjà joué; on avait l'impression d'une communauté", décrit Sébastien.
Feu! Chatterton, dont c'est le 3e album, a de toute façon été vite adopté par les autres têtes chercheuses du milieu musical. Arthur Teboul apparaît ainsi sur le dernier album du chanteur Raphaël ("Haute fidélité"). Les deux hommes ont été présentés par Christophe (disparu en 2020), toujours à l'affût des nouveaux talents.
"On a vraiment accrochés Arthur et moi quand Christophe nous a invités dans son spectacle; on a déjeuné ensemble tous les deux, en parlant d'abord de philosophie ou de mystique, des sujets qui nous intéressent, puis on s'est mis à faire de la musique", décortique Raphaël (le chanteur) pour l'AFP.
Christophe était d'ailleurs passé par les studios ICP à Bruxelles, tout comme une figure tutélaire pour le groupe parisien, Alain Bashung (dont un album se nomme "Chatterton").
"Dans la cabine B à l'étage d'ICP, Bashung a enregistré son dernier album; tout d'un coup ça te raconte l'endroit; et j'ai récupéré la chambre d'hôtel que Bashung occupait durant cet enregistrement", dévoile Sébastien.
"Palais d'argile" est un bel oxymore, procédé qu'aimait aussi Bashung, qui avait appelé un de ses albums "Fantaisie militaire".
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