France: le parquet réclame une peine "exemplaire" contre Ikea France, accusée d'espionner ses salariés #
Après cinq jours d'un procès fleuve et parfois houleux, la justice française a requis mardi une peine "exemplaire" de deux millions d'euros contre Ikea France, accusée d'avoir espionné des centaines de salariés, et un an de prison ferme contre un de ses anciens patrons.
"L'enjeu" de ce procès est celui "de la protection de nos vies privées par rapport à une menace, celle de la surveillance de masse", a déclaré la procureure Paméla Tabardel devant le tribunal de Versailles, près de Paris, en demandant que la réponse pénale soit un "message fort" envoyé à "toutes les sociétés commerciales".
"Il a été dit, et c'est important, qu'Ikea est responsable", s'est réjouie Céline Verzeletti, du syndicat CGT, qui s'était porté partie civile, en marge de l'audience.
Vendredi, Ikea France s'était défendue, assurant être "en opposition" avec ces pratiques.
La procureure n'a "pas prononcé une seule fois le mot +système d'espionnage généralisé+", a relevé auprès de l'AFP Emmanuel Daoud, l'avocat d'Ikea France. "Il faudra dorénavant arrêter de dire qu'il y avait un système d'espionnage industrialisé", a-t-il insisté en précisant qu'il plaiderait jeudi la relaxe de la filiale française de l'enseigne d'ameublement suédoise.
Révélée par la presse puis instruite en 2012, cette affaire a mis au jour un système de surveillance des salariés et de certains clients bien rôdé, de leurs antécédents à leur train de vie ou leur patrimoine.
Outre Ikea France, quinze prévenus sont poursuivis dans ce dossier, anciens dirigeants de l'entreprise, directeurs de magasins, fonctionnaires de police ou le patron d'une société d'investigations privée.
Mardi, la procureure a demandé la relaxe de deux dirigeants, mais elle a requis trois ans d'emprisonnement dont deux avec sursis pour un ancien PDG, Jean-Louis Baillot (1996-2009). "Je souhaite une peine qui marque la vie de Jean-Louis Baillot", a expliqué la procureure, affirmant que la "politique initiée" par l'ancien responsable avait affecté la vie de près d'au moins 400 salariés ayant fait l'objet d'"enquêtes privées".
M. Baillot "conteste vigoureusement sa culpabilité", a indiqué en marge de l'audience son avocat, François Saint-Pierre.
Les prévenus comparaissent pour des faits commis entre 2009 et 2012, même si ces pratiques illégales remontaient au début des années 2000, selon la procureure. Seules trois années ont été retenues dans ce dossier, pour cause de prescription.
Par ailleurs, elle a soulevé la question de l'éventuelle corruption de fonctionnaires de police mis en cause. "Je ne dis pas qu'il y a eu de la corruption, mais je ne vous dis pas qu'il n'y en a pas eu. Cela pose question".
Malgré les "imperfections" relevées dans le dossier, Mme Tabardel a demandé au tribunal de saisir "la chance d'analyser et de réprimer des pratiques" de surveillance "clandestines", soulignant que rares étaient les poursuites pénales engagées dans ce domaine.
L'ancien "Monsieur sécurité" d'Ikea France, Jean-François Paris, est le seul des dirigeants à avoir reconnu à la barre des "contrôles de masse" d'employés. Le parquet a requis trois ans de prison à son encontre, dont deux avec sursis.
"On peut louer (aujourd'hui) son effort d'honnêteté et de transparence (...), mais ce n'est pas un lanceur d'alerte", a commenté la procureure.
A la barre, M. Paris a répété avoir suivi une consigne formulée par l'ex-PDG Jean-Louis Baillot, des dires formellement contestés par l'intéressé.
Directeur de la gestion des risques d'Ikea France de 2002 à 2012, Jean-François Paris transmettait des listes de personnes "à tester" à Eirpace, dirigée par Jean-Pierre Fourès.
Le patron de cette entreprise spécialisée "en conseil des affaires" est notamment accusé d'avoir, par l'entremise de policiers, eu recours à des fichiers de police, ce dont il s'est défendu.
Cet ancien policier des Renseignements généraux (RG, l'ancien service de renseignements de police) avait provoqué l'hilarité de la salle lors de son interrogatoire, quand il avait expliqué avoir simplement usé "d'imagination et ingéniosité" pour se renseigner. A son encontre, le parquet a requis une peine d'un an de prison ferme.
Le tribunal entend les premières plaidoiries de la défense mardi après-midi.
ola-clw/pa/mpm/thm