Nouvelle offensive de Bruxelles contre les réformes judiciaires en Pologne #
Bruxelles a saisi mercredi la justice européenne contre une loi polonaise jugée attentatoire à l'indépendance des juges, dans une nouvelle offensive contre les réformes judiciaires de Varsovie, qui a aussitôt contesté cette procédure.
La Commission européenne considère que la législation en cause "porte atteinte à l'indépendance judiciaire en Pologne et est incompatible avec la primauté du droit de l'Union", a déclaré le commissaire européen à la Justice, Didier Reynders, devant la presse.
L'exécutif européen a demandé à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) de prendre des "mesures provisoires", notamment pour suspendre les décisions de la chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise sur la levée de l'immunité des juges, a-t-il précisé.
"La décision de lever l'immunité d'un juge doit être prise par une instance indépendante. En Pologne, l'indépendance et l'impartialité de la chambre disciplinaire de la Cour suprême ne sont pas garanties", a justifié le commissaire européen.
Il a pointé le "risque de dommages graves et irréparables quant à l'indépendance du système judiciaire en Pologne et à l'ordre juridique de l'Union". "Les juges polonais sont des juges européens", a-t-il souligné.
Cette saisine de la justice européenne entre dans le cadre d'une procédure d'infraction déclenchée en avril 2020 contre une loi polonaise entrée en vigueur en février de la même année, permettant de sanctionner les juges qui remettent en question les réformes de la justice, taxée de "loi muselière" par ses détracteurs.
Varsovie a jugé que cette saisine n'avait "aucun fondement juridique ni factuel". "La réglementation des questions liées au système judiciaire relève exclusivement du domaine national", a déclaré le porte-parole du gouvernement polonais Piotr Mueller sur Twitter, assurant que "la réglementation polonaise ne diffère pas des normes en vigueur dans l'UE".
Les réformes de la justice lancées par le parti conservateur nationaliste Droit et Justice (PiS), au pouvoir en Pologne depuis 2015, sont dans le collimateur de Bruxelles et ont déjà donné lieu à plusieurs condamnations par la justice européenne.
Mais "malgré les décisions de la Cour de justice européenne et nos nombreuses tentatives pour remédier à la situation, la pression sur les juges polonais continue à augmenter et leur indépendance est soumise à une érosion constante", a déploré la vice-présidente de la Commission chargée des valeurs et de la transparence, Vera Jourova.
Les chefs de file de cinq des sept groupes politiques du Parlement européen avaient écrit jeudi dernier à la présidente de la Commission Ursula von der Leyen pour l'exhorter à agir. Ils s'inquiétaient notamment du sort du juge Igor Tuleya, magistrat critique des réformes judiciaires et qui risque des sanctions pénales, alors qu'une audience est prévue sur son cas devant la chambre disciplinaire contestée le 21 avril prochain.
Un courrier similaire avait été adressé à la Commission dimanche par des universitaires, juristes et représentants d'organisations de la société civile polonaise.
Le président du groupe Renew Europe (centristes et libéraux), Dacian Ciolos, a souligné mercredi qu'il comptait aussi sur l'exécutif européen pour la mise en oeuvre du nouveau mécanisme conditionnant le versement de fonds européens au respect de l'Etat de droit, "un outil de plus dans la boîte à outils de la Commission pour combattre les contrevenants à la loi".
Les réformes polonaises de la justice ont été épinglées dans le premier rapport annuel de la Commission sur l'Etat de droit dans l'ensemble des 27 pays de l'UE publié en septembre dernier.
Bruxelles a aussi déclenché en 2017 à l'égard de la Pologne une procédure dite de "l'article 7" du traité sur l'UE. Ce mécanisme prévu en cas "de violation grave" de l'Etat de droit dans un pays de l'Union peut en théorie déboucher sur la privation du droit de vote de ce pays, mais s'avère inopérant en pratique.
alm-bo/fmi/mba