Exploiter les propriétés naturelles des atomes pour fabriquer des machines quantiques, dont la supériorité écraserait les ordinateurs classiques les plus puissants grâce à des calculs inouïs: c'est le pari d'une start-up française conseillée par de grands noms de la physique.

Chez Pasqal, c'est l'effervescence depuis l'annonce fin janvier par Emmanuel Macron, d'un plan d'investissement de 1,8 milliard d'euros pour mettre la France dans "les trois premiers mondiaux" des technologies quantiques, appelées à révolutionner l'informatique et l'industrie.

La société --dont le nom est un clin d'oeil au mathématicien Blaise Pascal qui inventa la première machine à calculer, la "Pascaline"-- s'est lancée il y seulement un an dans la chasse aux qubits, qui sont à la base du calcul quantique.

Au côté des géants Google et IBM, la start-up adossée à l'Institut d'optique de l'Université Paris-Saclay, à Palaiseau (Essonne), fait aujourd'hui la course en tête pour démontrer l'efficacité de sa technologie dans des applications concrètes.

Dans le petit laboratoire où l'on prépare les futurs processeurs, la science est au point; la mécanique quantique, qui régit l'infiniment petit, si contre-intuitive, semble apprivoisée.

- "C'est du bio" -

Le secret ? Ils n'ont pas besoin de "fabriquer" artificiellement les qubits, ces briques de base de l'informatique quantique qui ont une infinité d'états possibles pouvant se superposer (0 et 1 à la fois) et s'enchevêtrer, quand les bits de l'ordinateur classique n'ont que deux états possibles (0 ou 1).

La superposition et l'intrication, ces deux propriétés étonnantes du monde quantique, permettent de réaliser des opérations mathématiques massives en parallèle car l'ordinateur est capable d'explorer toutes les solutions en même temps, et non une à une.

Pour faire ses qubits, Pasqal a choisi la technologie des "atomes neutres". Une ressource "prise dans la nature, donc on en a autant qu'on veut", relève Georges-Olivier Reymond, directeur de la société, dont les processeurs sont capables de générer entre 100 et 200 qubits.

"C'est du bio !", plaisante Christophe Jurczak, co-fondateur de Quantonation, fonds d'investissement dédié aux technologies quantiques.

L'avantage, c'est que les atomes --de rubidium, un métal mou et argenté qui ressemble à du mercure-- sont "strictement identiques naturellement".

"Quand vous faites des qubits supraconducteurs", comme Google notamment, "c'est très difficile de créer deux qubits parfaitement identiques, donc la fabrication est limitée", détaille ce scientifique conseillé par Alain Aspect, un physicien qui a démontré dans les années 1980 la réalité de l'intrication quantique.

S'il n'y a pas de limite à la fabrication, la difficulté est d'arriver à isoler les atomes, un par un, pour éviter qu'ils soient perturbés par la moindre interaction extérieure, même celle d'un atome voisin (un phénomène appelé "décohérence", qui fait perdre aux objets leur fragile état quantique).

- En "lévitation" -

Les gouttes de rubidium sont injectées dans une sorte de cocotte-minute qui chauffe les atomes. Puis ils sont refroidis (et donc ralentis) à l'aide d'un laser: on peut ainsi les piéger dans des petits espaces à vide, comme de microscopiques puits d'une boîte à oeufs, où ils sont maintenus en lévitation grâce à des faisceaux de lumière.

"Il n'y a pas de contact, c'est magique", s'émerveille ce physicien. Ainsi contrôlés, les atomes peuvent être mis dans un état quantique (deux niveaux d'énergie). Et les calculs peuvent commencer.

Ces opérations sont déjà utilisées. Pasqal a par exemple développé un algorithme pour EDF, optimisant les plannings de rechargement de ses véhicules électriques.

Mais les manipulations sont très complexes, la fiabilité éphémère, ce qui est source d'erreurs.

"Il faut progresser dans la correction d'erreurs, les ordinateurs quantiques en font encore beaucoup", analyse Philippe Chomaz, directeur scientifique de la recherche fondamentale du CEA (Commissariat à l'énergie atomique), qui a commandé une machine Pasqal pour l'intégrer à un super calculateur.

Mais il est confiant dans les progrès de la technologie. "On en train de vivre l'équivalent du moment où on a inventé le transistor et le boom des ordinateurs dans les années 1980." Eux aussi se trompaient, et certains "s'en gaussaient".

juc/fmp/bat

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