Les accusations d'inceste visant le politologue Olivier Duhamel relancent le débat: alors que le délai de prescription pour les crimes sexuels sur les mineurs a été allongé en 2018 à 30 ans, des voix s'élèvent pour demander leur imprescriptibilité, en particulier pour l'inceste.
La loi d'août 2018 contre les violences sexuelles a allongé de 20 à 30 ans le délai de prescription pour les crimes sexuels sur mineurs, à compter de leur majorité, afin de faciliter la répression de ces actes. Elle n'est toutefois pas applicable aux faits déjà prescrits.
L'association Face à l'inceste réclame depuis des années l'imprescriptibilité des crimes commis sur les mineurs. "La prescription c'est un passeport pour le viol", dit Isabelle Aubry, présidente de l'association.
Pour Céline Piques, d'Osez le féminisme, "il y a des systèmes d'omerta, de verrouillage du secret, surtout au sein des familles. Puis le secret finit par exploser mais c'est souvent trop tard: il y a prescription".
Dans le livre "La Familia grande" (Ed. Seuil), à paraître jeudi, Camille Kouchner accuse son beau-père, le politologue Olivier Duhamel, d'avoir agressé sexuellement son jumeau lorsqu'il était adolescent à la fin des années 80. Ces faits pourraient toutefois être prescrits.
Dans une interview à l'Obs, Camille Kouchner, qui est elle-même juriste, demande de "faire de l'inceste une infraction spécifique". "Pour la prescription, notamment : qu'on mette plus de temps à parler des siens que d'un inconnu, c'est quand même normal".
"Mon frère et moi avons 45 ans. On devrait pouvoir déposer plainte, mais on ne peut pas, parce que cette modification de la loi n'est pas rétroactive. Elle exonère ainsi les gens qui ont l'âge de mon beau-père, la génération de ceux qui ont réfléchi à la pédophilie dans des termes beaucoup trop souples... Donc, la justice ne leur imposera pas d'assumer leurs actes".
Et d'ajouter: "Aujourd'hui, ce n'est pas à moi d'actionner la justice. C'est le travail du procureur". Le parquet de Paris a annoncé mardi l'ouverture d'une enquête pour "viols et agressions sexuelles".
-"Résoudre le problème en surface"-Le magistrat honoraire Jacques Calmettes a co-présidé une mission sur le délai de prescription, qui a rendu ses conclusions en 2017 et s'était prononcée pour l'allongement à 30 ans.
"Des associations étaient favorables à la suppression de la prescription", se souvient-il, alors qu'il n'y était pas favorable. "Plus le temps s'écoule après la commission des faits, plus les éléments de preuve s'amenuisent voire disparaissent", souligne M. Calmettes. L'imprescriptibilité s'applique aujourd'hui uniquement aux crimes contre l'humanité, "qui méritent une exception à la règle commune".
Le viol commis sur un mineur par un ascendant est puni de 20 ans de réclusion.
Selon l'avocate Marie Grimaud, qui défend notamment l'association "Innocence en danger", le débat dépasse la seule question de la prescription.
"Mettre de l'imprescriptibilité ne viendra pas résoudre la question du tabou car là c'est d'un tabou dont on parle. De toute une emprise familiale qui va amener une personne à faire le choix de ne pas déposer plainte ou ne pas engager un processus judiciaire. La question de la prescription ne le résoudra pas", affirme-t-elle, estimant que l'accent, dans cette affaire devait plutôt être mis sur la "non-dénonciation" par les proches de la victime.
D'après un article du Monde paru mardi sur l'affaire Duhamel, un grand nombre de personnes, au sein de la famille mais aussi dans le cercle d'amis, était au courant des accusations d'inceste.
"On peut porter la prescription à l'infini, mais elle ne fera que résoudre le problème en surface. La question de la prescription vient faire porter sur les épaules de la victime l'entière responsabilité de la non action judiciaire, ce qui est injuste", considère Me Grimaud.
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