Plus de 25 ans après la campagne présidentielle malheureuse d'Edouard Balladur, la Cour de justice de la République a relaxé jeudi l'ancien Premier ministre d'accusations de financement occulte, mais a condamné à du sursis son ex-ministre de la Défense François Léotard dans ce volet de la tentaculaire affaire Karachi.
"Je prends acte avec satisfaction de la décision de la Cour de justice de la République qui reconnaît enfin mon innocence", après "un quart de siècle de calomnies", a réagi M. Balladur, cité dans un communiqué transmis à l'AFP par ses avocats.
"Je déplore qu'il ait fallu un quart de siècle de calomnies intéressées et organisées pour en arriver là", a ajouté l'ex-Premier ministre (1993-1995).
M. Balladur, aujourd'hui âgé de 91 ans, était absent au délibéré, comme son ancien ministre de la Défense, 78 ans.
La Cour de justice de la République est la seule habilitée à juger des membres du gouvernement pour des infractions commises dans l'exercice de leurs fonctions.
Dans son arrêt, la CJR a estimé que la preuve n'était pas "rapportée" de la participation de l'ex-Premier ministre à un système de rétrocommissions illégales versées en marge d'importants contrats d'armement.
L'accusation estimait qu'une partie de l'argent de ces rétrocommissions avait servi à alimenter son compte de campagne. Elle avait requis le 2 février un an d'emprisonnement avec sursis et 50.000 euros d'amende à l'encontre de M. Balladur pour "complicité" et "recel" d'abus de biens sociaux.
- Commissions "pharaoniques" -
Mais la Cour a conclu que l'origine de 10,25 millions de francs ayant abondé le compte du candidat Balladur - "frauduleuse" selon le ministère public - n'avait pu être établie.
"Vingt-cinq ans après (...), Edouard Balladur est enfin innocenté", a déclaré à la sortie de l'audience l'un de ses avocats, Félix de Belloy, saluant "une décision extrêmement motivée".
Tout au long du procès, qui s'était ouvert le 19 janvier, Edouard Balladur et ses avocats avaient dénoncé des "accusations grossières", basées sur des "théories délirantes".
La CJR, composée de trois magistrats professionnels et douze parlementaires, a suivi en revanche en tous points les réquisitions du ministère public pour condamner François Léotard à deux ans d'emprisonnement avec sursis et 100.000 euros d'amende. Il a été reconnu coupable de "complicité" d'abus de biens sociaux.
L'ancien ministre de la Défense a "joué un rôle central et moteur" dans l'imposition à deux entités détenues par l'Etat - qui négociaient la vente de sous-marins et de frégates à l'Arabie saoudite et au Pakistan - d'un réseau d'intermédiaires "inutiles" aux commissions "pharaoniques", les contrats d'armement étant alors quasiment finalisés.
"J'ai honte pour la justice française et ses dérives dangereuses. Je défendrai toujours la liberté de la décision politique", a réagi dans un communiqué M. Léotard.
Les arrêts de la CJR ne sont pas susceptibles d'appel. Mais M. Léotard a annoncé qu'il allait se pourvoir en cassation.
- "Sans lien" avec Karachi -
Dans le volet non gouvernemental de la même affaire, le tribunal correctionnel de Paris avait infligé en juin 2020 de sévères condamnations à l'encontre de six protagonistes, dont l'homme d'affaires Ziad Takieddine et d'anciens proches des deux anciens ministres. Tous ont fait appel.
Les soupçons de financement occulte de la campagne Balladur avaient émergé en 2010, au fil de l'enquête sur l'attentat de Karachi commis le 8 mai 2002, qui avait coûté la vie à 11 Français travaillant à la construction de sous-marins.
Toujours en cours, l'enquête sur cet attentat a au départ privilégié la piste d'Al-Qaïda, puis exploré celle - non confirmée à ce jour - de représailles après l'arrêt du versement des commissions, une fois Jacques Chirac élu président.
Edouard Balladur a affirmé jeudi: "Il est en tout cas établi que cette affaire est sans lien avec l'attentat de Karachi qui a coûté la vie de onze de nos compatriotes en 2002, attentat dont vingt ans après, la justice a échoué à découvrir les motifs et les auteurs".
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