Les milliers de témoignages qui affluent ces derniers jours sous le mot-dièse #Metooinceste rendent "concret" ce fléau et pourraient permettre "d'éradiquer" une pratique "encore trop courante", estime auprès de l'AFP l'anthropologue Léonore Le Caisne, autrice en 2014 d'"Un inceste ordinaire".
QUESTION: Vous êtes l'autrice de plusieurs recherches sur l'inceste et le sous-titre de votre dernier ouvrage est "Pourtant tout le monde savait". Que pensez-vous de la vague de témoignages de victimes publiés sur Twitter ?
REPONSE: "Ces témoignages sont importants car ils rendent compte de l'ampleur de l'inceste, ils viennent donner du contenu et de la réalité à ce fait de société, et c'est ça qui peut faire bouger les choses.
Je suis émue qu'enfin on commence à parler de cette question. On connaît la réalité des chiffres - environ un Français sur dix, ce qui est énorme - mais trop vite on oublie. Notre société n'a pas intégré que l'inceste est un crime et trop souvent on laisse faire. On connaît tous quelqu'un qui a été victime, ou au moins quelqu'un qui connaît quelqu'un qui a été victime, et pourtant cela ne va pas plus loin.
Que #Metooinceste explose peut contribuer à éradiquer cette pratique. Devant un crime aussi fréquent, il faut agir."
Q: Vous décrivez l'inceste comme un "crime ordinaire", "intégré" dans la société. Que pourrait-on faire pour changer cela ?
R: "L'inceste est un acte intégré car il est interdit mais en fait il est pratiqué tout le temps, dans tous les milieux. Ce n'est pas vrai qu'on n'en parle pas, le problème c'est qu'on ne sait pas le traiter alors on ne l'entend pas.
L'inceste, il faut l'écouter et surtout agir après. Tous les incesteurs ont un sentiment d'impunité. Ce sont souvent des gens que la famille, le voisinage considèrent comme des gens forts, respectables.
On sait aujourd'hui que souvent les faits étaient connus et plus ou moins parlés. La question c'est pourquoi le basculement ne s'opère pas ensuite du côté de la justice ?
La justice a besoin de faits et de traces, sinon c'est parole contre parole et près de 70% des affaires révélées sont classées. Nous devrions prendre le problème autrement car ce n'est pas qu'aux enfants de parler, ils ne peuvent pas porter seuls la responsabilité face à des actes incestueux. C'est à nous de voir ce qui se passe. Je n'ai pas la solution mais nous devons tous collectivement réfléchir à cette question."
Q: Une commission indépendante sur l'inceste a récemment été créée par le gouvernement. Qu'en attendez-vous ?
R: "Je trouve ça bien qu'on se saisisse de ce sujet et je devais voir Elisabeth Guigou pour en parler (elle vient d'en quitter la présidence, fragilisée par l'affaire Duhamel, NDLR).
Mais je trouve que cette commission est encore trop focalisée sur les questions du consentement et de l'imprescriptibilité. Bien sûr, ce sont des questions importantes, mais je pense que l'on va droit dans le mur si on ne réfléchit qu'à ça, car cela n'évite pas l'inceste.
Il faut plutôt travailler sur les relations familiales, comprendre les relations avec les enfants, le lien à la sexualité... L'inceste est un fait de société qu'il faut traiter avant de punir. Avant qu'elle soit reconnue par la justice, la victime doit être reconnue par sa famille. C'est donc de prévention dont nous avons besoin.
Peut-être que cette commission sera utile. Mais l'actualité c'est aujourd'hui, et il n'y a encore rien, ni personne" (dans cette instance, NDLR).
jlo/bfa/bat
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