Vingt-cinq ans après, l'accusation a requis mardi un an de prison avec sursis et 50.000 euros d'amende contre l'ancien Premier ministre Edouard Balladur dans le volet financier de l'affaire Karachi, en estimant qu'il connaissait "l'origine frauduleuse du financement de sa campagne présidentielle".
A l'encontre de son ancien ministre de la Défense, François Léotard, une peine de deux ans d'emprisonnement avec sursis et 100.000 euros d'amende ont été demandés, 25 ans après les faits.
Pour le procureur général François Molins, M. Léotard était "beaucoup plus impliqué" dans la gestion d'un système "complexe" mis en place pour alimenter en partie le compte de campagne de l'ancien locataire de Matignon (1993-95).
M. Balladur, 91 ans, et M. Léotard, 78 ans, avaient fait face à leurs juges depuis l'ouverture de leur procès le 19 janvier devant la Cour de la justice de la République (CJR). Mais les deux hommes étaient absents mardi à l'audience, l'ex-ministre de la Défense ayant invoqué des raisons de santé.
L'ancienneté des faits, le contexte de l'époque et l'âge des prévenus ont été pris en compte dans le choix de ne requérir que des peines avec sursis, malgré la "gravité des faits", a souligné François Molins au terme d'un réquisitoire à deux voix, au sujet d'"un dossier hors normes".
Selon l'accusation, MM. Balladur et Léotard ont imposé à deux entités détenues par l'Etat - qui vendaient sous-marins et frégates à l'Arabie saoudite et au Pakistan - un réseau d'intermédiaires "inutiles" et aux commissions "exorbitantes" car les contrats d'armement étaient alors quasiment finalisés.
Une partie de l'argent était ensuite reversée sous la forme de rétrocommissions illégales sur le compte de campagne du candidat, dans une élection marquée par la guerre fratricide à droite avec Jacques Chirac.
Au coeur du dossier, un versement de 10,25 millions de francs (un million et demi d'euros) en espèces, déposés sur son compte de campagne trois jours après sa défaite au premier tour.
L'accusation a balayé l'explication avancée "depuis toujours" par M. Balladur de vente de gadgets et de dons. Elle a écarté aussi celle des "fonds secrets" de Matignon mis en avant pendant le procès par son ex-trésorier.
Même si des "zones d'ombre propres à cette délinquance astucieuse" demeurent, le "lien" est établi entre les rétrocommissions et le versement sur le compte de campagne de M. Balladur, a martelé l'accusation.
- "Goût d'inachevé" -MM. Balladur et Léotard comparaissent devant la CJR, la seule instance habilitée à juger les membres du gouvernement pour des infractions commises dans l'exercice de leurs fonctions, sept mois après de sévères condamnations dans le volet non gouvernemental de la même affaire.
En juin dernier, le tribunal correctionnel de Paris avait infligé des peines de prison ferme - deux à cinq ans - à six protagonistes, dont l'homme d'affaires franco-libanais Ziad Takieddine et d'anciens proches des deux ministres. Ils ont tous fait appel.
Face à la Cour de justice de la République, Edouard Balladur et François Léotard - renvoyés pour "complicité d'abus de biens sociaux", ainsi que pour "recel" pour le seul M. Balladur - ont fermement nié toute infraction, des "accusations mensongères" fondées sur des "rumeurs" a dénoncé l'ex-locataire de Matignon (1993-95).
Le ministère public a fustigé "l'attitude des prévenus", qui ont invoqué, souvent, leur mémoire défaillante pour "ne pas répondre aux questions".
Alors que quelque "550 millions de francs", soit "117 millions d'euros" ont été versés au réseau "K", "M. Balladur ne nous fera pas croire qu'il ne s'intéressait pas à ces questions qui portaient sur des milliards de francs", a estimé l'avocat général Philippe Lagauche.
Après cinq demi-journées d'audience, resteront "un goût d'inachevé" et la "sensation de n'avoir abordé que la petite partie émergée de cette affaire tentaculaire", a souligné François Molins.
Les soupçons de financement occulte de la campagne Balladur n'ont émergé qu'en 2010, au fil de l'enquête sur l'attentat de Karachi le 8 mai 2002. Il avait coûté la vie à 15 personnes, dont 11 Français travaillant à la construction de sous-marins pour la DCNI dans le port pakistanais.
L'enquête sur cet attentat - toujours en cours - avait au départ privilégié la piste d'Al-Qaïda, puis avait exploré celle de représailles après l'arrêt du versement des commissions après l'élection de Jacques Chirac.
L'avocate de M. Léotard a commencé à plaider à l'issue des réquisitions, la défense de M. Balladur plaidera mercredi après-midi.
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