La prolongation jusqu'à fin mai de l'aide "d'urgence" aux travailleurs saisonniers et intermittents ne règle pas "les problèmes structurels de ces travailleurs précaires", estime le sociologue du travail, de l'emploi et de la précarité Nicolas Roux (Université de Reims-Champagne-Ardennes).
Question : La décision gouvernementale est-elle à la hauteur de l'urgence ?
Réponse : "Cela peut sembler être un coup de pouce pour répondre à l'urgence et éviter les situations les plus problématiques sur un plan financier. Cela fait un revenu minimum de survie, une aide d'urgence qui ne changera pas les problèmes structurels de ces travailleurs précaires. Comme si la précarité était amenée à se résorber après la crise liée à la Covid-19. Mais il y a une réalité structurante plus ancienne: depuis les années 1970, il y a eu une multiplication des formes d'emploi dites atypiques (CDD, CDD saisonnier, CDD d'usage, intérim...). Il y a une part croissante de la population active qui est éloignée du socle de sécurité minimal que procure l'accès au salariat. En 1995, les trois quarts des emplois correspondaient à des CDI à temps plein. Cette proportion est aujourd'hui de 60%."
Q : Quelles sont les limites de cette aide ?
R : "L'aide intervient de février 2020 à fin mai 2021. On peut se poser la question de l'après, des perspectives. Durant cette période, il y aura nombre de salariés qui n'auront pas pu travailler suffisamment pour ouvrir une nouvelle période de droits au chômage, après mai 2021. Rien n'assure que l'économie va repartir durablement et créer des emplois dans la culture, l'événementiel, la restauration ou les stations balnéaires et de ski.
D'autre part, le périmètre de l'aide est ciblé sur ceux qui ont été en emploi et au chômage régulièrement, ceux qui ont travaillé plus de 60% du temps en 2019. Cela exclut de facto presque la moitié des saisonniers si l'on se fie aux données existantes: alors que la durée moyenne d'un contrat saisonnier est de deux mois, 45% de ces travailleurs n'ont pas eu d'autre contrat entre avril 2018 et mars 2019, selon la Dares. Cela écarte donc beaucoup de personnes qui n'ont pas un accès régulier à l'emploi discontinu.
Troisième élément, il faut avoir un revenu actuel mensuel qui ne dépasse pas 900 euros pour percevoir l'aide. Le problème pour ces travailleurs en emploi discontinu est qu'il y a une relative saisonnalité de l'activité. Certains mois, vous pouvez toucher 1.500 ou 2.000 euros (ou plus) mais ce seront peut-être vos +gros+ mois de l'année. Tout dépend de la période où vous comptabilisez vos droits.
Il y a enfin la question du non-recours au droit: qui va être au courant de ce droit, vont-ils le demander et va-t-il leur être attribué ?"
Q : Comment expliquer ces difficultés d'accès au droit ?
R : "En temps +normal+, on estimait à environ un tiers le non-recours au droit au chômage en France. Ceux qui ont travaillé sur des périodes plus courtes et pour des salaires moins élevés ont tendance à être ceux qui recourent le moins à l'indemnisation chômage ou le plus tardivement. Il y a non-recours principalement par manque d'information. Il peut aussi y avoir demande et pas forcément attribution en raison de la complexité des démarches administratives. Philippe Warin (chercheur qui a étudié le non-recours aux politiques sociales, ndlr) explique enfin qu'il existe la non-demande: on est au courant de ses droits mais on ne va pas les demander. J'ai par exemple pu constater que certaines personnes ont tellement intériorisé le discours sur +l'assistanat+ qu'elles ne veulent pas des aides sociales et veulent s'en sortir par leur travail."
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