Des villageois maliens célébrant un mariage ont-ils été victimes du combat mené par les armées nationale et étrangères contre les jihadistes du Sahel ? Un rapport de l'Onu est venu mardi accréditer la thèse d'une bavure française, à nouveau récusée par Paris.
Voici ce qu'on sait des évènements survenus le 3 janvier à Bounti, dans le secteur de Douentza/Hombori dans le centre du Mali, un des foyers de la violence polymorphe qui ensanglante le Sahel.
Que disent les villageois de Bounti ?
La foule s'est rassemblée à environ un kilomètre de Bounti, localité d'habitat clairsemé au pied des falaises et très loin de la ville. Elle célèbre des noces qui ont eu lieu la veille et cherche l'ombre des arbres. Il n'y a que des hommes, en raison de la tradition disent les uns, des pressions des jihadistes qui abondent disent les autres. Les femmes sont en train de préparer le repas. Des villageois rapportent une frappe venue du ciel qui sème la terreur. Le jour même, Tabital Pulakuu, une association pour la promotion de la culture des Peuls, ethnie très présente localement, fait état d'une frappe aérienne qui a tué une vingtaine de civils. Elle publie ensuite une liste de noms.
La force antijihadiste française Barkhane est rapidement montrée du doigt sur les réseaux sociaux.
Que disent les autorités françaises ?
Que c'est bien l'un des nombreux regroupements de jihadistes dans la zone, que Barkahne a frappé et qu'il n'y avait pas de mariage.
Après plusieurs jours de surveillance, un drone a détecté une moto avec deux individus, a rapporté l'état-major français en janvier. La moto a rejoint une quarantaine d'hommes, "formellement" identifiés comme un "groupe armé terroriste". Une heure et demie d'observation a écarté la présence de femmes et d'enfants et l'ordre a été donné à une patrouille d'avions de chasse d'attaquer, a-t-il dit. Trois bombes ont "neutralisé" une trentaine de jihadistes; les éléments disponibles "permettent d'exclure la possibilité d'un dommage collatéral", a-t-il assuré.
Le ministère français des Armées a dit mardi maintenir cette version.
Que dit la Minusma ?
Après avoir enquêté, les experts de la Mission de l'ONU au Mali (Minusma) sont "en mesure de confirmer la tenue d'une célébration de mariage qui a rassemblé sur le lieu de la frappe une centaine de civils parmi lesquels se trouvaient cinq personnes armées, membres présumés de la Katiba Serma".
Au moins 22 personnes ont été tuées, dont trois des membres présumés de la Katiba Serma, dit la Minusma dans son rapport.
La Katiba Serma est affiliée au Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM, ou JNIM en arabe), alliance jihadiste elle-même affiliée à Al-Qaïda.
La présence de membres d'un groupe armé ne suffisait pas pour y assimiler les autres participants; et si, comme le dit Paris, il s'agissait bien d'un rassemblement jihadiste, "il apparaît difficile d'exclure la présence de civils dans le groupe d'hommes en si peu de temps". Donc le principe de précaution aurait dû s'appliquer.
Quel est le contexte ?
Le secteur est une zone d'activité et de refuge pour des groupes liés surtout au Jnim, mais aussi des jihadistes rivaux affiliés au groupe Etat islamique (EI). La France et ses alliés y menaient en janvier une vaste opération, intitulée Eclipse.
Le Mali est en proie depuis 2012 à une crise sécuritaire et une poussée jihadiste qui se sont propagées du nord au centre du pays, puis au Burkina Faso et au Niger voisins. Les violences, jihadistes, intercommunautaires ou autres ont fait des milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés, malgré l'intervention de forces onusiennes, africaines et françaises. Aucune sortie de crise n'est en vue.
La France, intervenue militairement en janvier 2013 pour aider l'armée malienne, déploie 5.100 soldats au Sahel au sein de Barkhane.
En janvier, Barkhane venait de perdre cinq soldats et était confronté à la critique de l'enlisement.
Qui a raison ?
Les experts de la Minusma ont parlé directement à au moins 115 personnes, par téléphone à une centaine d'autres, sans compter les réunions de groupe: ils se sont rendus sur place et ont analysé une multitude de publications et déclarations, dit la Minusma. Ils ont travaillé "dans un climat de pression médiatique et politique" et préoccupés "par le risque de manipulation de certaines sources".
Les informations de première main en provenance de la zone sont rares. Aucune image n'a circulé de la frappe. Les faits se sont produits dans une zone éloignée et dangereuse où les jihadistes sont très présents et influents.
Le ministère français a émis "de nombreuses réserves quant à la méthodologie" de la Minusma. Il a dit "impossible de distinguer les sources crédibles des faux témoignages d'éventuels sympathisants terroristes ou d'individus sous influence (y compris la menace) des groupes djihadistes".
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