"Le doute transpire de toutes les certitudes qu'on nous a apportées". Les avocats de trois jihadistes présumés, jugés par la cour d'assises spéciale de Paris, ont dénoncé mardi les zones d'ombre de l'opération "Ulysse" ayant conduit à leur arrestation et, peut-être, permis de déjouer une "tuerie de masse".
Dans ce dossier, "il n'y a que des hypothèses... Il faut arrêter de contorsionner la vérité", a ainsi plaidé Joseph Hazan, l'un des défenseurs du Strasbourgeois Yassine Bousseria pour lequel le parquet antiterroriste a requis 22 ans de réclusion assortie d'une période de sûreté des deux tiers.
"Il n'y a pas de profil type de jihadiste. Un processus de radicalisation est toujours évolutif, il se fonde sur des facteurs multiples, propres à chaque individu", avaient souligné lundi les deux avocats généraux pour justifier leur sévère réquisitoire.
Me Hazan a répliqué, devant la cour présidée par David Hill: "(Hicham) Makran ou (Yassine) Bousseria, ce n'est pas (Mohammed) Merah", le jihadiste qui avait perpétré les tueries de mars 2012 à Toulouse et Montauban.
Tandis que l'accusation soupçonne les deux hommes d'avoir constitué "une cellule dormante" de l'organisation Etat islamique (EI) dans l'attente de passer à l'action, Me Hazan a expliqué que cette accusation était avant tout la marque d'"une absence de preuves".
Entre leur vaine tentative d'aller en Syrie, en février-mars 2015, et leur interpellation, en novembre 2016, Makran et Bousseria ont accumulé les maladresses alors qu'un "opérationnel" de l'EI apprend à devenir littéralement invisible, a fait remarquer Camille Le Gall, autre avocate de Yassine Bousseria.
L'ancien animateur scolaire gardait ainsi chez lui, "en nourrice", des armes de poing d'un vendeur de drogue notoire, risquant "à tout moment" de se faire pincer par la police, a-t-elle rappelé.
Son copain d'enfance Hicham Makran - dont les capacités de compréhension sont "limitées" selon les experts - a dit "tout ce qu'il pouvait", a affirmé son avocate, Me Yasmina Belmokhtar, louant sa "sincérité".
Hicham Makran qui souffre de dyslexie et ne possède ni ordinateur ni téléphone portable aurait avoué qu'il voulait commettre un attentat si cela avait été le cas, soutient son avocate.
Le parquet a réclamé 20 ans de prison et une peine de sûreté des deux tiers à son encontre.
- "Le chant des sirènes" -L'accusation soupçonne les deux Strasbourgeois d'avoir maintenu des liens avec des cadres de l'Etat islamique jusqu'à leur interpellation. Ils étaient prêts à passer à l'acte en cherchant à récupérer des kalachnikov cachés près de Paris, affirme encore l'accusation même si les deux hommes ont été arrêtés à Strasbourg.
Les deux Strasbourgeois et leur donneur d'ordres en zone irako-syrienne, ignoraient que ces armes étaient en fait un leurre mis en place par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).
Quelques mois auparavant, un agent des services de renseignement français, dont le nom de code est "Ulysse", était parvenu à tromper la méfiance des chefs de l'EI et leur avait croire qu'il était en mesure de leur fournir des armes automatiques. Les AK-47, préalablement démilitarisés, avaient été cachés en forêt de Montmorency (Val d'Oise) et les coordonnées GPS de la cache transmises aux donneurs d'ordres en Syrie.
En transmettant ces coordonnées à des "opérationnels" en France, l'EI les jetait en fait dans le piège dressé par la DGSI.
Mais est-on sûr de cette "chronologie potentiellement rassurante?", s'est demandé Me Farès Aidel, l'avocat du troisième accusé, le Marocain Hicham El-Hanafi, 30 ans, présenté par l'accusation comme un "jihadiste total".
Le parquet a présenté contre lui la réquisition maximale: 30 ans de réclusion assortie d'une période de sûreté des deux tiers et une interdiction définitive du territoire français à l'issue de sa peine.
Qui était le "témoin anonyme", en contact avec les "émirs" de l'EI, qui a permis à la DGSI de monter l'opération "Ulysse" qualifiée par l'avocat général Benjamin Chambre d'"opération judiciaire la plus ambitieuse de la France en matière d'antiterrorisme"? Plus de deux semaines d'audience n'ont pas permis à la défense d'obtenir une réponse.
Me Aidel a de nouveau soulevé la délicate question de la "provocation à l'infraction" qui est interdite en matière d'infiltration judiciaire.
Les accusés auront droit à la parole, mercredi matin, avant que la cour ne se retire pour délibérer et rendre son verdict. Ils encourent tous les trois 30 ans de réclusion criminelle.
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