Lutter durablement contre le trafic de drogues à Marseille implique une politique répressive dure "mais aussi des mesures sociales et économiques", pour donner des perspectives aux habitants de quartiers paupérisés, selon Jean-Baptiste Perrier, directeur de l'Institut de sciences pénales et de criminologie.
"Il faut se poser la question de la misère sociale dans ces quartiers", explique à l'AFP le professeur de l'Université Aix-Marseille.
Q: Marseille traîne une réputation de ville dangereuse. Qu'en est-il réellement ?
R: "Marseille est comme toutes les grandes villes qui sont des bassins de criminalité plus importants, notamment en terme de criminalité visible, c'est-à-dire les agressions crapuleuses (vols de sacs, téléphone...) ou le trafic de stupéfiants. Mais si on prend la criminalité globale, il n'y a pas un +problème+ marseillais: il n'y a pas plus de violences conjugales ou sexuelles par exemple à Marseille qu'ailleurs.
Le problème de la criminalité visible n'est pas dû au caractère des Marseillais, mais à des causes géographiques, historiques et sociales. Marseille est une ville plus pauvre que Lyon par exemple. Il y a aussi le fait que ce soit un port. En terme de morts violentes (en France), il y en a plus dans la région parisienne, à Marseille et le département des Bouches-du-Rhône, mais aussi dans la région Grenoble-Lyon. Mais rapporté au nombre d'habitants, il y en a davantage en Corse."
Q: Le trafic de drogue a-t-il évolué ?
R: "La vraie question, à Marseille, c'est la criminalité liée aux stupéfiants, à ces trafics qui se professionnalisent, qui redeviennent plus violents, comme dans les années 1980, et dont les participants rajeunissent. Il y a eu une focalisation et une volonté de lutter contre ce type de criminalité, en tout cas à Marseille, ce qui explique qu'on cherche plus de faits et donc qu'on en trouve plus. C'est comme avec les radars, on ne conduit pas plus vite qu'avant, on détecte juste plus les grands excès de vitesse. La réalité est toujours difficile à mesurer. Mais globalement la criminalité des cités marseillaise est comparable à celle de la Seine-Saint-Denis ou de la banlieue lyonnaise.
Il y a des cités à Marseille qui tiennent grâce à l'économie souterraine et au trafic de stupéfiants, des gens qui vivent de ça. Ce qui est tragique, c'est que quand on est un jeune, dans ces cités, la réussite est beaucoup plus simple dans le réseau de stupéfiants que dans la vie normale, et ça, ce n'est pas un choix qu'on peut proposer à quelqu'un. C'est une question de pacte républicain."
Q: Qu'améliorer dans cette lutte?
R: "Avoir une politique durable, c'est avoir une politique répressive dure mais aussi prendre des mesures sociales et économiques pour éviter que le système revienne. De plus, à Marseille notamment, ce trafic de stupéfiants, de par son importance, finit par assurer des missions d'Etat en quelque sorte: on propose des emplois, il y a des petites annonces de recrutement passées par les trafiquants sur Le Bon Coin... Il faut se poser la question de la misère sociale qui existe dans ces quartiers.
Une police plus présente sur le terrain renforcerait la prévention et enrayerait la dégradation des relations entre la population et la police. Cela avait été expérimenté avec la police de proximité, à laquelle on a ensuite renoncé. La question est revenue avec le retour de la police de la sécurité du quotidien. Mais cela suppose notamment des recrutements importants, qui ne sont pas là aujourd'hui.
Après on sait qu'un trafic remplace toujours un trafic, même dans les Etats qui ont dépénalisé les stupéfiants. Les gens qui cherchent à faire de l'argent par des méthodes criminelles trouvent toujours une solution. Il faut abandonner l'idée qu'on arriverait à atteindre un taux de criminalité zéro, il faut juste faire en sorte que ce taux soit le plus bas possible."
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