Face à la menace "d'un acte violent" sur le sol français "nous n'avions pas d'autres choix" que d'infiltrer les réseaux de l'Etat islamique (EI), a raconté vendredi devant la cour d'assises spéciale de Paris "Ulysse", l'agent de la DGSI qui a réussi à berner des cadres de l'organisation islamiste en Syrie.
Témoignant par visio-conférence, le visage caché, sous le nom de code SI-282, "Ulysse" est revenu sur la genèse d'une opération délicate qui a conduit à l'arrestation de trois hommes soupçonnés d'avoir voulu commettre un ou plusieurs attentats sur le sol français à la fin de l'année 2016.
Ces trois hommes, deux Strasbourgeois et un Marocain, comparaissent depuis lundi devant la cour d'assises spéciale.
Le 3 mars 2016, la DGSI apprend qu'un certain Nil Shewil, alias "Abou Taha Mohamed", un Français ayant rejoint la Syrie dès 2014 et connu pour avoir diffusé des vidéos où il se met en scène en train de décapiter des otages, est à la recherche d'armes en vue d'une "action violente" sur le sol français.
Un informateur de la DGSI - "actif sur les réseaux sociaux jihadistes", consent à dire "Ulysse", soucieux de protéger sa source -, affirme qu'"Abou Taha" a cherché à le contacter pour se procurer des armes.
"Abou Taha" est connu pour sa cruauté mais n'est pas un "gros poisson" de l'EI. Il agit au nom d'un "émir".
Traumatisée par les attentats du 13-Novembre, la DGSI prend l'affaire très au sérieux. Dans une opération digne d'un roman d'espionnage, "Ulysse" endosse l'identité de son informateur et entre en contact avec "Abou Taha", affirmant qu'il peut se procurer des armes.
Aussitôt, "Abou Taha" le met en relation avec un cadre de l'EI chargé des opérations extérieures qui se fait appeler "Sayyaf".
"Dès le début, se souvient Ulysse, Sayyaf se montre très directif".
"On veut 4 kalash, avec chaque kalash, 4 chargeur et des munition (sic)", exige l'"émir" dont la véritable identité est Salah-Eddine Gourmat, un Français, ex-livreur de pizzas de Malakoff qui a rejoint l'EI en 2014 et en est devenu l'un des dirigeants sous les ordres directs d'un autre Français, Boubakeur el-Hakim, un haut responsable jihadiste impliqué notamment dans les attaques de janvier 2015 à Paris.
Le 8 mars, Ulysse indique que le prétendu fournisseur d'armes est prêt à fournir le matériel contre 12.000 euros.
Le poisson est ferré mais se méfie.
"J'ai une question, quand tu es venu avec ta famille en Turquie, il s'est passé quoi en France avec ta soeur?", demande Sayyaf à Ulysse.
"C'était une question piège. La soeur de l'informateur est en Turquie mais l'informateur ne s'est jamais rendu en Turquie avec sa famille", explique Ulysse à la cour.
- "Soldat du califat" -Reste à régler la question de l'argent. Sayyaf propose à Ulysse d'aller le récupérer en Belgique, en Allemagne ou en Norvège. Ulysse refuse arguant des contrôles renforcées aux frontières (un nouvel attentat de l'EI a eu lieu à Bruxelles le 22 mars). A Raqqa, Sayyaf se mure dans le silence et à Paris on marche sur des oeufs. La supercherie a-t-elle été découverte?
"Il n'y avait rien d'autre à faire qu'attendre", explique Ulysse.
Le 23 juin, Sayyaf reprend enfin contact avec Ulysse. Le lendemain il lui annonce qu'un paquet contenant 13.300 euros a été caché au cimetière du Montparnasse à Paris. Qui a déposé l'argent? Cela reste un mystère reconnait Ulysse qui précise qu'aucune trace ADN n'a été mise en évidence sur l'emballage de l'argent.
Mais ce demi échec sera bientôt effacé. Sans attendre les instructions de Raqqa, Ulysse prend l'initiative de cacher les armes dans la forêt de Montmorency (Val-d'Oise). Il envoie les coordonnées GPS de la cache à "son" émir.
"Enterrer les armes a été notre seule initiative", s'amuse encore Ulysse.
Sayyaf est furieux. "Tu aurais du me consulter avant d'aller enterrer les affaires", écrit-il.
"Tu es soldat du califat et sache que tout soldat doit obéissance à son émir", s'emporte-t-il.
Ulysse laisse passer l'orage. Les mois passent sans nouvel échange.
En novembre, alors que l'opération semble avoir sombrée, la DGSI intercepte des messages de l'EI à des agents dormants en France avec les coordonnées GPS de la cache d'armes de Montmorency.
Le cheval de Troie d'Ulysse a rempli son office.
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