Création de centres de rétention "Covid", allongement de la détention... Malgré la quasi-impossibilité d'expulser, la volonté du gouvernement "d'enfermer à tout prix" les étrangers, depuis l'essor de la pandémie, s'est accompagnée de "violations massives" des droits, dénoncent les défenseurs des migrants.
Les conséquences de l'épidémie ont été "désastreuses" sur ces exilés, en prison et surtout dans les centres de rétention administrative (CRA), où les personnes en situation irrégulière sont enfermées en attente de leur expulsion, a résumé lundi soir l'observatoire de l'enfermement des étrangers (OEE), lors d'une conférence qui faisait le bilan d'une année sous état d'urgence sanitaire.
Justement, après quelques fermetures de CRA lors du premier confinement, les placements s'y sont poursuivis "à contre-courant de l'évolution de l'épidémie", alors que les expulsions étaient devenues presque irréalisables, en raison de la fermeture des frontières extérieures de l'Europe, a fustigé David Rohi, responsable de la rétention à l'association La Cimade.
Ce dernier cite notamment le cas "emblématique" de centaines d'Algériens inlassablement enfermés "alors qu'aucune expulsion n'a eu lieu vers l'Algérie depuis un an".
De fait, les expulsions ont chuté de 51,8% en 2020, avec 9.111 personnes éloignées contre près de 19.000 l'année précédente. En particulier, la part des étrangers non-Européens renvoyés hors de l'UE a chuté de 62,4%.
- Rétention-prison-rétention -"Aujourd'hui, on est à 70/80% d'occupation, voire 100% ponctuellement" dans les CRA, où se sont développés ces derniers mois "de nombreux foyers épidémiques", poursuit David Rohi.
"La logique a été de continuer à tout prix l'enfermement et la tentative d'expulsion au gré de violations massives des droits", assène-t-il.
Pour maintenir le fonctionnement de ces centres, les autorités ont transformé en "CRA Covid" deux d'entre eux, à Vincennes et Palaiseau, en région parisienne, pour y transférer tous les retenus infectés par le virus.
Leur existence "n'est justifiée ni par le droit pénal, ni par le droit des étrangers", observe Vincent Souty, membre du Syndicat des avocats de France (SAF), qui y voit un "durcissement" de la politique d'enfermement.
Ce dernier se manifeste également, selon l'OEE, par la "répression" à l'égard des étrangers qui refusent, afin d'échapper à l'expulsion, de se soumettre aux tests Covid, désormais exigés par de nombreux pays d'origine pour accepter leurs ressortissants.
Ces refus entraînent, "par dizaines", des peines de prison ferme ou avec sursis, reprend David Rohi, de La Cimade. Et déclenchent des "cycles délétères" de rétention, d'emprisonnement, puis de retour en rétention.
- Bond en arrière -D'ailleurs, estime Patrick Berdugo, membre de l'ADDE (Avocats pour la défense des droits des étrangers), "beaucoup d'administrations se servent des tests PCR (positifs) pour les garder en rétention, en réalisant des tests au 89e jour (sur 90 maximum de rétention), alors qu'il n'y a aucune perspective d'éloignement".
Son confrère Vincent Souty résume: "Avec la crise, il y a peut-être eu moins de retenus, mais les durées de rétention ont explosé".
Des zones grises sont également apparues du côté des frontières, où l'on constate bien une réduction drastique des flux de passage mais où "l'enfermement continue", constate l'Anafé (Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers).
S'y est imposée "une forme d'arbitraire", depuis qu'est apparue la notion de "motif impérieux" pour les voyages, explique David Pénicaud, un responsable de l'association.
"On assiste à une extension des refus d'entrée à des ressortissants européens qui bénéficiaient de la libre circulation", et qui peuvent désormais se retrouver enfermés dans les zones d'attentes aéroportuaires, assure-t-il.
D'autant que "le refus d'entrée sur le territoire pour cause de Covid est difficile à contester", reconnaît Me Berdugo.
Reste qu'"en termes de droit", reprend David Pénicaud, "on est sur un retour en arrière de 30 ans".
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