Les tentes ont ressurgi jeudi soir sur la place de la République, en plein coeur de Paris, à l'initiative de plusieurs associations venues en soutien aux personnes exilées, près de quatre mois après une opération similaire qui s'était achevée par une intervention musclée de la police.
"On revient place de la République parce que c'est un lieu symbolique et aussi parce que depuis la dernière action, rien n'a vraiment changé, il y a toujours autant de gens dans la rue", a expliqué à l'AFP Kerill Theurillat, responsable parisien d'Utopia 56, une des associations à l'initiative de l'opération.
Sur la place, ils sont environ 350, principalement originaires d'Afghanistan et d'Afrique subsaharienne, à dresser les tentes dans une ambiance détendue. Environ 400 ont été déployées juste avant le début du couvre-feu.
Non loin de là, la police est restée discrète.
Tresses rouges, vêtue d'un blouson en similicuir, Sandrine, une Ivoirienne de 33 ans, est arrivée en France il y a un an pour des raisons de santé et dans l'espoir d'"avoir une vie meilleure".
"Je suis à la rue, j'ai squatté à droite à gauche mais ces derniers temps, je suis dehors et j'ai failli me faire violer deux fois. Ce sont des expériences traumatisantes... J'essaye de m'intégrer mais en étant une femme, seule, dehors, c'est risqué et difficile", regrette-t-elle.
"Je dors parfois dans la rue ou alors je sous-loue un lit 250 euros. On est venus en France pour une vie meilleure mais on est à la rue", témoigne à son tour Safai, un Afghan de 24 ans qui a obtenu le statut de réfugié il y a deux semaines. "Sans toit, sans sommeil, ma vie est bloquée".
L'action a été lancée à l'occasion de la "Nuit de la solidarité", une opération de recensement des sans-abri dont les associations ont profité pour "demander leur hébergement immédiat, stable et décent", selon leur déclaration commune.
- "Proposer un hébergement" -Ces exilés à la rue se tournent "chaque soir" vers les associations "en quête d'une tente ou d'un hébergement, tandis que de nombreux citoyens leur ouvrent chaque soir leur porte", ont-elles déploré. "Ce n'est pourtant pas aux associations ni aux habitants de mettre en place des hébergements pour faire face à l'aggravation de la crise du logement, c'est à l'Etat, car c'est la loi".
En marge du lancement de la "Nuit de la solidarité", la maire de Paris Anne Hidalgo a rendu hommage aux associations, qu'elle a décrites comme des "lanceurs d'alerte" présents "aux côtés des publics les plus démunis".
"C'est la nuit de la solidarité mais ça ne suffit pas de compter les sans-abri, il faut leur proposer un hébergement aussi", insiste M. Theurillat, qui rappelle que les exilés présents sur la place "sont essentiellement des familles, on espère que la préfecture (de police, NDLR) fera preuve de discernement".
Interrogé par l'AFP, le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), Didier Leschi, reconnaît "une grande difficulté sur le logement" en Ile-de-France, estimant que "la question des campements ne passe pas uniquement par l'orientation vers l'hébergement des demandeurs d'asile mais aussi par l'accès aux logements des réfugiés".
Dans un communiqué, les préfectures de police et d'Ile-de-France ont "condamné" l'opération qu'elles jugent "irresponsable", faisant "courir des risques évidents" en pleine crise sanitaire et "incompréhensible" alors que, selon elles, la préfecture de région "dispose des places d'hébergement nécessaires".
Le 23 novembre dernier, l'évacuation par la police des tentes déployées place de la République et les violences survenues en marge de leur démantèlement (usage de gaz lacrymogène, de grenades de désencerclement ou journaliste molesté) avaient suscité une vive émotion, jusqu'au sein du gouvernement.
Le soir-même, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avait évoqué des "images choquantes" et demandé un "rapport circonstancié" au préfet de police de Paris. L'IGPN, la "police des polices", et le parquet de Paris avaient dans la foulée ouvert une enquête.
Les occupants de la place de la République ont prévenu jeudi soir qu'ils resteraient "pacifiquement sur place jusqu'à la mise à l'abri de toutes les personnes sans-abri présentes".
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