Dénouement judiciaire ou nouveau procès ? La Cour de cassation doit dire mercredi si elle confirme la relaxe de Cédric Herrou, une décision majeure pour l'agriculteur militant des Alpes-Maritimes devenu une figure de l'aide aux migrants en France.
La plus haute juridiction de l'ordre judiciaire doit trancher en début d'après-midi sur l'arrêt rendu par la cour d'appel de Lyon en 2020, ce qui pourrait signer le point final d'une longue procédure jalonnée de trois procès et d'une saisine du Conseil constitutionnel.
Cette décision est attendue par sa défense afin "qu'il soit ainsi reconnu de manière définitive que Cédric Herrou n'a fait qu'aider autrui et que, dans notre République, la fraternité ne peut être un délit", a déclaré son avocate Me Sabrina Goldman.
Le paysan de la vallée de la Roya est poursuivi pour avoir convoyé en 2016 environ 200 personnes sans-papiers, en majorité erythréennes et soudanaises, de la frontière italienne jusqu'à son domicile, puis avoir organisé avec des associations un camp d'accueil sur un ancien centre de vacances inoccupé de la SNCF.
Il a été condamné à une amende en première instance, puis à quatre mois de prison en appel en 2017: avec un autre militant, il a alors saisi le Conseil constitutionnel sur le "délit de solidarité" dont ils s'estimaient victimes.
Cette démarche a abouti à une décision historique en juillet 2018, les "Sages" ayant consacré "la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national".
Par la suite, le Parlement a dû modifier la loi en protégeant désormais des poursuites les personnes prodiguant une aide au "séjour" et à la "circulation" des migrants - mais non à leur "entrée" sur le territoire - si elle est apportée "sans contrepartie" et "dans un but exclusivement humanitaire".
Deux mois plus tard, la Cour de cassation a annulé la condamnation de Cédric Herrou et renvoyé l'affaire à Lyon, où il a été relaxé le 13 mai 2020.
Le parquet général de Lyon a alors formé un pourvoi en cassation - un recours dénoncé alors comme un "acharnement" par l'agriculteur et ses soutiens.
- "Exclusivement humanitaire" - Dans sa décision, la cour lyonnaise a estimé qu'elle n'avait pas suffisamment d'éléments pour condamner Cédric Herrou, soulignant en particulier l'absence de "témoignage direct" et d'"audition" des sans-papiers concernés. Mais elle a aussi invoqué la nouvelle loi, constatant le "but exclusivement humanitaire" du militant aujourd'hui âgé de 41 ans.
Lors de l'audience le 3 mars au sein de la haute juridiction, l'avocat général, dont le rôle est de défendre la loi, a préconisé la cassation, une voie qui, si elle est suivie, peut mener à un quatrième procès.
Il a estimé que la cour d'appel de Lyon avait méconnu certaines dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) et qu'elle avait insuffisamment motivé sa décision.
Il a soutenu que la cour ne s'était pas "expliquée" sur des éléments montrant que M. Herrou avait soustrait "sciemment" les personnes qu'il transportait aux contrôles de police, ce qui est selon lui susceptible de "contredire un but purement humanitaire".
Si son comportement a eu pour "conséquence - et non pour but - de soustraire ces personnes aux contrôles", cela "ne saurait en toute occasion ôter le caractère exclusivement humanitaire de l'aide apportée", a répliqué dans ses écritures Patrice Spinosi.
L'avocat à la Cour de Cédric Herrou a surtout affirmé que le pourvoi devait être rejeté car il revenait à "remettre en cause" la "souveraineté" des juges de Lyon, alors que la Cour de cassation juge seulement la conformité aux règles de droit, et non le fond des décisions.
Dans le dossier d'un autre habitant de la Roya, la Cour a estimé en février 2020 que le caractère "militant" et organisé de l'aide fournie n'excluait pas d'être exempté de poursuites.
L'universitaire niçois Pierre-Alain Mannoni, qui a saisi le Conseil constitutionnel au côté de Cédric Herrou, a lui aussi été relaxé par la cour d'appel de Lyon en octobre 2020. Il était poursuivi pour avoir transporté en 2016 trois Érythréennes venues d'Italie.
Là aussi, le parquet général a formé un pourvoi en cassation.
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