Vers une mise hors de cause? Le parquet de Paris demande un non-lieu, "faute d'éléments probants", pour le journaliste Taha Bouhafs, qui était suspecté d'avoir incité en janvier 2020 des manifestants à investir le théâtre des Bouffes du Nord où Emmanuel Macron assistait à une représentation.
Dans ses réquisitions du 21 janvier dont l'AFP a pris connaissance, le ministère public estime qu'aucun "élément de preuve suffisant n'a permis d'établir que (Taha Bouhafs) soit à l'origine de la fuite initiale de l'information" sur la présence du président au théâtre.
Le parquet n'a pas trouvé non plus de charges suffisantes sur une "participation à un groupement formé en vue de violences" ou une "organisation de manifestation non déclarée".
Ces réquisitions vont dans le sens de la juge d'instruction, qui a clos les investigations sans mettre en examen le jeune homme. Elle devrait désormais rendre une ordonnance de non-lieu, synonyme d'abandon des poursuites.
Le 17 janvier 2020, au 44e jour de grève contre la réforme des retraites, le chef de l'État assiste en compagnie de son épouse Brigitte Macron à une représentation au théâtre parisien des Bouffes du Nord de "La Mouche", de Christian Hecq et Valérie Lesort.
Taha Bouhafs, connu pour sa couverture en images des conflits sociaux et par son engagement militant, est dans la salle.
A 20h58, le journaliste tweete une courte vidéo et ce message: "Je suis actuellement au théâtre des Bouffes du Nord (Métro La Chapelle) 3 rangées derrière le président de la République. Des militants sont quelque part dans le coin et appellent tout le monde à rappliquer. Quelque chose se prépare... la soirée risque d'être mouvementée."
Vers 22H00, une trentaine de manifestants fait irruption dans le théâtre et "perturbent" quelques instants la représentation par des "slogans hostiles" avant d'être repoussés par les forces de l'ordre, selon des rapports de police.
Dans une ambiance "très tendue", Emmanuel Macron est placé en sécurité au sous-sol.
D'après le réquisitoire, c'est sur "désignation" d'un membre du Groupe de sécurité de la présidence de la République que Taha Bouhafs est interpellé dans le théâtre après l'intrusion, puis placé en garde à vue, téléphone confisqué.
Le journaliste est présenté à un juge le lendemain et est placé sous statut de témoin assisté, sans être mis en examen comme le demandait à l'époque le parquet.
- Secret des sources -Lors de l'interrogatoire, son avocat Arié Alimi a notamment présenté pour le disculper un tweet d'un autre compte, antérieur d'une dizaine de minutes à celui de son client, annonçant la venue de M. Macron au théâtre et appelant à se rassembler sur place.
Deux autres tweets comparables ont été découverts depuis par les enquêteurs.
L'enquête a vite posé la question du statut de journaliste de M. Bouhafs, jugé par une partie de la profession incompatible avec certains engagements militants de cet homme de 23 ans.
Suivi par plus de 100.000 personnes sur Twitter, cette nouvelle voix de l'antiracisme, co-organisateur d'une manifestation contre l'islamophobie en 2019, s'est aussi fait connaître en dénonçant des méthodes policières et pour plusieurs procédures judiciaires l'opposant aux forces de l'ordre.
L'intéressé a immédiatement protesté contre l'exploitation de son téléphone, une "grave violation du secret des sources", et réclamé sa restitution.
La juge d'instruction a d'abord refusé de rendre cet "instrument" de l'éventuelle infraction, d'autant que "des investigations (étaient) en cours notamment aux fins de confirmer ou d'infirmer la qualité de journaliste" de M. Bouhafs. A l'époque des faits, il ne possédait pas de carte de presse, arguant devant la juge d'instruction d'une "phobie administrative". Il en est titulaire désormais.
Le téléphone, contenant selon M. Bouhafs "une vidéo terrible" pour Emmanuel et Brigitte Macron qui "prennent leurs jambes à leurs cou" lors de l'intrusion de militants mais pas rendue publique à ce jour, lui a finalement été restitué, après exploitation par les enquêteurs.
La demande de non-lieu est "un désaveu cinglant pour l'Élysée" s'est félicité M. Bouhafs. "S'il est confirmé par la juge d'instruction, ce qui est probable, une plainte pour dénonciation calomnieuse par l'Élysée et ses services sera déposée par mon avocat Me Arié Alimi".
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