"Bylka" était-il un policier "ripou" ? Le tribunal a esquissé mercredi le portrait d'un fonctionnaire de la brigade anti-criminalité (BAC) du XVIIIe arrondissement de Paris, au premier jour de son procès pour corruption aux côtés de cinq de ses collègues et deux de ses informateurs officieux.
"Vous confirmez qu'au sein de la BAC et sur le terrain, vous étiez connu sous le nom de "Bylka" ?
- "Oui, absolument".
Crâne rasé et pull gris, Karim M. confirme aux juges de la 16e chambre correctionnelle son surnom, qui lui vient de ses origines kabyles.
Incarcéré depuis juin 2019, l'homme de 47 ans est le seul policier à comparaître détenu à ce procès. Jugé pour corruption, trafic de stupéfiants, faux en écriture et blanchiment, il est soupçonné d'avoir extorqué de l'argent et de la drogue à des dealers et d'avoir monnayé sa protection en leur faisant souscrire une "assurance".
Entre les questions de la présidente Isabelle Prévost-Desprez, un portrait contrasté se dessine. Celui d'un homme qui grandit à Paris et choisit de devenir policier parce que "c'est un métier noble", dit-il, qui l'attire depuis son "plus jeune âge".
Il intègre la BAC en 2002, à 30 ans, et "apprend sur le tas" en "suivant les plus anciens". Félicité par sa hiérarchie car il fait de "belles affaires", il monte en grade et devient brigadier.
Pourtant, en 2005, il a fait l'objet d'une procédure administrative, relève la présidente.
Car avant de revêtir l'uniforme, il a été condamné pour des violences sur un automobiliste puis pour rébellion et dégradation d'un véhicule de police. Ces deux peines n'apparaissent pas sur son casier judiciaire mais il a omis de les mentionner à son entrée dans la police. Le conseil de discipline l'a finalement relaxé.
La présidente aborde ensuite, par touches, son usage intensive d'argent liquide. L'enquête entamée en 2018 sur dénonciation d'un collègue montre que, s'il gagnait 2.400 euros par mois, il n'a fait aucun retrait d'espèces pendant quatre ans et ne payait rien par carte bancaire.
- "Indics" -L'argent venait de "petits gains" aux jeux et de l'"aide" de son père qui lui donnait 800 euros par mois, assure-t-il. Il reconnaît qu'il était gérant, de fait, de deux hôtels et d'un bar qui appartenaient à ses parents.
"Et vous étiez payé ?" interroge la présidente. Il hausse les épaules. "Chez nous dans la communauté kabyle, c'est un devoir d'aider ses parents", affirme-t-il.
"Tous les deux mois", il allait en Algérie. C'était "pour me reposer" et faire "de l'associatif", justifie Karim M., qui raconte qu'il dirigeait aussi des travaux sur un appartement "en cours d'acquisition".
Mais il ne possédait aucun patrimoine en propre, assure-t-il. La présidente insiste, lit plusieurs extraits d'écoutes. "Vous dites: +votre+ garage", remarque-t-elle. "Je dis ça parce que je représente la famille", évacue-t-il.
Lors d'une perquisition, 2.755 euros en liquide et 2.460 euros de tickets de jeux gagnants ont été retrouvés, ainsi que six téléphones. "Ce sont des téléphones que j'ai récupérés sur la voie publique, de guetteurs qui les abandonnent quand on vient pour les interpeller", justifie-t-il.
Mais "vous les utilisiez", s'agace la présidente, "vous trouvez ça normal ?"
"Ecoutez, j'ai rien révolutionné dans la police. C'est une pratique que j'ai reproduite, tout simplement".
Alors que la pratique des "indics" n'est pas autorisée à la BAC, il confirme aussi qu'il y avait recours. "J'ai toujours connu ça", dit-il, assurant qu'il avait "l'aval" de sa "hiérarchie".
Des relations que la justice ne voit pas du même oeil: à ses côtés dans le box, Ahmed M., l'un de ses anciens informateurs, est jugé pour l'avoir corrompu et un autre, Abdoulaye D., assis dans la salle, pour trafic de stupéfiants.
Cinq autres policiers de son équipe, âgés de 29 à 39 ans, comparaissent, selon les cas, pour faux en écriture, vol, transport de stupéfiants ou violence.
Le procès doit s'achever le 12 février.
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