L'éviction en deux temps d'Emmanuel Faber des commandes du géant agroalimentaire Danone résulte d'une crise de gouvernance larvée, aiguisée par les attaques de fonds activistes. Tour d'horizon des questions suscitées par ce coup de théâtre.
Pourquoi le conseil d'administration a-t-il lâché Emmanuel Faber ?
La crise de gouvernance chez Danone a éclaté au grand jour avec l'annonce en octobre de résultats trimestriels marqués par la pandémie et jugés décevants, et avec le départ de la directrice générale finances du groupe, Cécile Cabanis.
Mais selon un bon connaisseur du dossier, elle est plus ancienne.
"C'est un problème de gouvernance né l'été dernier et qui s'est aggravé au fil des mois", poursuit cette source. Elle évoque notamment le départ début septembre de Francisco Camacho, "un historique de Danone" qui dirigeait le pôle produits laitiers et d'origine végétale et n'a pas été remplacé.
De quoi alimenter les reproches de certains administrateurs sur un exercice du pouvoir "peut-être trop solitaire".
Dans un premier temps, le conseil d'administration, réuni le 1er mars, a cru pouvoir sortir de la crise en dissociant les fonctions de président, qui restaient dévolues à Emmanuel Faber, et celles de directeur général.
Seul hic, "le conseil a eu l'impression très vite qu'Emmanuel Faber n'avait pas du tout la volonté d'abandonner ses fonctions de PDG rapidement, que ça rendait la recherche d'un directeur général autonome quasi impossible et tout ça a dérapé, jusqu'à la soirée de dimanche", selon le bon connaisseur du dossier.
Danone a-t-il démérité face à ses concurrents ?
Malgré la crise sanitaire, le bénéfice net de Danone a progressé en 2020 de 1,4% à près de deux milliards d'euros, mais la rentabilité a été jugée insuffisante par rapport à des concurrents comme Nestlé.
"Entre 2014 et 2019, le chiffre d'affaires a augmenté de 20%, le résultat opérationnel de 44%, le bénéfice par action de 47%. On ne peut pas dire que sur le front économique et financier, Danone ait démérité", estime Pierre Tegnér, analyste chez Oddo BHF.
Danone a "toujours voulu faire des prévisions très ambitieuses", au risque de décevoir les investisseurs, relève Laurent Grandet, analyste à New York chez Guggenheim Securities.
"Danone c'est une entreprise qui grossit de 3% en moyenne tous les ans", alors que certains de ses concurrents américains comme Kellogg ou General Mills font 1 à 2%, "mais depuis les cinq dernières années, ces sociétés, tous les trimestres, réalisent exactement ce qu'elles disent".
Le statut d'"entreprise à mission" adopté en juin 2020 est-il menacé par l'éviction d'Emmanuel Faber?
Ce statut, qui enjoint Danone d'aller au-delà de la recherche de rentabilité en poursuivant des "objectifs sociaux, sociétaux et environnementaux", pourrait-il être remis en question par le départ de son promoteur? Les syndicats de Danone le redoutent. "La majorité des salariés a adhéré à ce projet-là. Cela permettait de construire sur l'avenir. Aujourd'hui les cartes sont rebattues, est-ce que ce projet tient toujours? On a besoin de réponses", s'inquiète Michel Coudougnès, coordonnateur SNI2A CFE-CGC.
Pascal Lamy, président du comité de mission indépendant chargé d'évaluer la mise en oeuvre par Danone de ses engagements environnementaux, sociaux ou sur la santé, espère "que ce changement de direction ne va pas être un changement de cap, que Danone va rester une entreprise à mission".
"Si cela ne devait pas être le cas, j'en tirerais les conséquences", a-t-il averti sur BFM Business.
Lundi, le conseil d'administration s'est dit "convaincu de la nécessité d'allier un fort niveau de performance économique au respect du modèle unique d'entreprise à mission de Danone".
Le plan de réorganisation "Local first" sera-t-il maintenu ?
Ce plan dégainé par Emmanuel Faber à l'automne vise à renforcer la rentabilité de Danone en supprimant jusqu'à 2.000 postes, en réduisant les strates hiérarchiques et en donnant davantage de pouvoir à l'échelon local.
"Ce n'était pas le bon moment pour remettre l'entreprise en tension, pour lancer un grand plan de restructuration", a estimé le bon connaisseur du dossier.
"Le plan a un peu de plomb dans l'aile, même si je pense que c'est un bon plan", a estimé Laurent Grandet. "Très peu d'entreprises sont organisées par métiers (comme l'est Danone actuellement), toutes les entreprises sont organisées par régions".
Les regards sont désormais tournés vers le nouveau président Gilles Schnepp. L'ancien patron de Legrand, soutenu notamment par les fonds activistes, sera très attendu lors de sa présentation de résultats du premier trimestre le 20 avril, avant l'assemblée générale des actionnaires le 29 avril.
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