"Tout le monde en a besoin": dans l'Ouest canadien, c'est le principal sujet de conversation depuis des semaines. La venue du pape François, qui doit prononcer des excuses pour le rôle de l'Eglise dans le drame des pensionnats pour enfants autochtones, est entourée d'immenses espoirs.
A Maskwacis, à 100 kilomètres au sud d'Edmonton (Alberta), dans l'une des communautés amérindiennes où doit se rendre le souverain pontife, chacun se prépare à cette visite historique, espérée et réclamée depuis des années.
"Recevoir le pape ici va probablement aider de nombreuses personnes. Certains vont entendre des choses qui pourront les aider à avancer dans leur vie", veut croire Randy Ermineskin, chef de la communauté crie de Maskwacis, où vivent 19.000 autochtones de quatre peuples différents.
Le pape François, 85 ans, sera au Canada à partir du 24 juillet pour renouveler des excuses historiques pour les violences perpétrées pendant des décennies dans des pensionnats pour autochtones administrés par l'Eglise, après celles formulées début avril au Vatican devant une délégation autochtones.
Entre la fin du XIXe siècle et les années 1990, quelque 150.000 inuits, métis ou membres des Premières nations (Dénés, Mohawks, Ojibway, Cris, Algonquins, etc.) ont été enrôlés de force dans plus de 130 pensionnats à travers le pays. Ils y ont été coupés de leur famille, de leur langue et de leur culture, et souvent victimes d'abus.
- "Un peu de justice" -Pour Wilton Littlechild, qui a passé 14 ans de sa vie dans plusieurs de ces pensionnats, "les excuses du pape auront de grandes conséquences".
Elles marquent une étape essentielle, estime cet avocat en droits des autochtones, qui a milité toute sa vie pour faire avancer le dialogue entre les Canadiens et les peuples autochtones du pays. La réconciliation est devenue ces dernières années l'une des grandes causes du gouvernement de Justin Trudeau.
"Après avoir reçu des excuses, les gens peuvent entamer leur guérison et en venir à la conclusion -- au moins pour certains -- qu'il y a enfin un peu de justice, et là, vous pouvez parler de réconciliation", soutient auprès de l'AFP cet ancien chef de 78 ans, vêtu d'une chemise traditionnelle orange et bleue.
Aujourd'hui encore, beaucoup d'autochtones (qui représentent aujourd'hui 5% de la population du Canada) vivent dans la pauvreté, et le racisme perdure. Les relations entre l'Etat canadien et les peuples autochtones, dits "Premières nations", restent définies par la "Loi sur les Indiens", un texte de 1876 qui a notamment créé des centaines de réserves dans le pays.
Dans celle de Maskwacis, une plaque commémorative rappelle l'existence du pensionnat d'Ermineskin, ouvert en 1894 et aujourd'hui détruit. Géré par l'Eglise catholique, cet établissement a été l'un des plus importants du Canada, jusqu'à sa fermeture en 1976.
Autour, dans les rues désertes d'un lotissement trainent des chiens errants au milieu de tricycles et matelas à l'abandon sur des trottoirs, devant des maisons taguées ou incendiées.
"On a besoin d'une grande bénédiction, surtout pour les jeunes. C'est dur ici... il y a beaucoup de gangs et de drogue", notamment parce que "les gens sont incapables d'aller de l'avant", estime Connie Roan, qui habite près de l'une de ces maisons à la toiture carbonisée.
Debout dans son jardin, cette grand-mère de 67 ans, lunettes rondes et cheveux gris, espère que le pape "va apporter du changement" dans la communauté.
- "Un besoin pour l'ensemble du Canada" -L'alcoolisme et les taux de suicide élevés continuent à ravager les communautés autochtones, traumatisées par les pensionnats et toute la politique d'assimilation mise en place, qui a été reconnue comme un "génocide culturel" par l'Etat canadien.
"Je l'espère vraiment et je prie pour la venue du pape, parce que tout le monde en a besoin, pas juste nous, mais l'ensemble du Canada", renchérit Gilda Soosay, catholique de 50 ans qui travaille au centre de lutte contre les addictions pour les jeunes de la communauté.
A la tête de la paroisse, cette femme aux très longs cheveux noirs, chapelet autour du cou, voit cette visite comme un "miracle" qui "va aider les gens à guérir".
Au skate-park avec son frère, Seanna Fryingpan, 22 ans, est "excitée" par cette visite qui "n'arrive qu'une fois dans une vie".
Mais pour cette jeune maman, cigarette derrière l'oreille et rose tatouée sur le dos de la main, s'il est important que le pape "reconnaisse" la responsabilité de l'Eglise, "ça ne va pas changer tout ce qui s'est passé".
Brian Lee, 68 ans, va même plus loin. Celui qui dit avoir appris dans ce système "à haïr son propre peuple" et à qui on a répété que sa "langue était celle du diable" aimerait que le pape n'en reste pas là et soutienne l'apprentissage des langues, dont l'usage s'efface peu à peu.
"Je pense que si tout le monde, des enfants aux aînés, parlait à nouveau notre langue, notre communauté irait mieux."
ast/tib/ube/alc