Un ancien directeur d'école de Haute-Savoie, relaxé en première instance, a été jeudi de nouveau confronté en appel à Chambéry aux témoignages de 19 enfants qui l'ont accusé en 2016 d'agressions et exhibitions sexuelles.
L'enseignant, dont le procès s'est ouvert mercredi, conteste depuis le premier jour les faits qui auraient concerné dix-neufs élèves de petite-section entre septembre 2015 et novembre 2016 dans une école maternelle de Cornier, petite commune de 1.200 habitants située non loin de la frontière suisse.
Il avait été placé en garde à vue après la plainte d'un parent, puis mis en examen et placé sous contrôle judiciaire en novembre 2016. Lors de son premier procès à Bonneville en 2019, il avait été relaxé faute "d'éléments permettant d'emporter la conviction du tribunal", qui avait relevé des "dysfonctionnements dans les interrogatoires" des enfants entendus.
Devant la cour d'appel de Chambéry, "maître Bruno", 53 ans, suspendu depuis le début de l'affaire, clame encore son innocence. "On n'est plus dans la pollution, on est dans l'intoxication et ça me désole complètement", assure-t-il au président Yves le Bideau.
"Mettre de fausses images d'abus sexuels dans la tête de mon fils, mais quel intérêt j'aurais eu ?", rétorque à la barre une mère de famille partie civile.
Derrière elle, presque tous les parents des élèves concernés occupent la salle d'audience, contraints d'écouter une nouvelle fois les interrogatoires de leurs enfants concernant des massages qui seraient souvent survenus dans la salle de motricité de l'école.
L'affaire a éclaté lorsqu'une petite fille a demandé à sa mère de lui masser les fesses "comme Bruno", ce qui avait entraîné un signalement, puis d'autres témoignages d'élèves de la même classe, ensuite entendus par la gendarmerie.
- "Moyens de pression" -L'accusation repose en grande partie sur ces auditions, pointées du doigt dans le jugement de première instance, qui avait alors évoqué "une pratique inadaptée" de la part de l'enquêtrice, ses "moyens de pression" et "questions fermées".
Sur l'écran de la salle d'audience apparaît le bureau de l'adjudante chargée de recueillir la parole de ces élèves de trois ou quatre ans, en 2016. "Est-ce que quelqu'un a fait une bêtise ?" demande la gendarme à une petite fille. L'enfant fait non de la tête, sourire aux lèvres. "Bruno a fait une bêtise ?" Même réponse. "Tu veux revoir Bruno ?". "Non", répond la fillette, toujours souriante.
La gendarme insiste "Tu ne veux pas revoir Bruno ?". "Si, répond finalement la petite. Parce que c'est mon amoureux!".
Les vidéos d'auditions d'une trentaine de minutes s'enchaînent.
Une autre petite fille de trois ans pleure, veut retrouver ses parents. Elle assure qu'il ne s'est "rien" passé à l'école. Puis elle finit par avancer que Bruno lui a fait des massages.
Une autre fillette est interrogée. "Est-ce que maître Bruno, il a fait des caresses à toi ?" L'élève répond d'un ton assuré : "Jamais". Elle ajoute que son instituteur est "gentil". "Je suis déçue, moi, lui lance la gendarme. Je vois bien que tu as plein de choses dans ta petite tête mais tu ne veux pas me les dire. (...) Tu verras comment ça fait du bien quand on dit les choses. (...) T'as pas confiance en moi ?"
Un petit garçon apparaît à l'écran. La gendarme demande : "Est-ce que tu as vu le zizi de maître Bruno ?" "Non", répond l'enfant. "Un coup, tu me dis que tu as vu le zizi de maître Bruno, un coup tu me dis que tu ne l'as pas vu", regrette l'enquêtrice.
Seul expert-psychiatre entendu, Luis Alvarez, proche de l'association Innocence en danger partie civile au procès, a examiné trois des enfants concernés, longtemps après les faits. Il affirme avoir "rarement vu des enfants avec un syndrome de stress post-traumatique aussi complet". En réponse, la défense le qualifie de "pompier pyromane".
Lors du premier procès à Bonneville, le parquet avait requis une peine de cinq ans d'emprisonnement dont trois avec sursis. Jeudi, le parquet général a réclamé la même peine.
Décision mise en délibéré le 27 mai.
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