La création d'un musée de l'histoire de la colonisation, préconisée dans un récent rapport parlementaire, "est une bonne première étape" qu'il faut désormais concrétiser pour briser définitivement "le dernier grand tabou du XXe siècle", estime l'historien Pascal Blanchard dans un entretien à l'AFP.
QUESTION : Cette proposition de musée, que vous appeliez de vos voeux, est-ce une bonne chose ?
REPONSE : C'est une très bonne première étape. Il est plus que temps d'avoir un musée de l'histoire de la colonisation, ça devient indéfendable d'être le dernier pays européen qui ne regarde pas son histoire coloniale en face. Mais si c'est pour faire seulement un musée itinérant ou bien un petit musée au fin fond d'une impasse pour dire +on l'a fait+, les députés peuvent passer à autre chose.
Ce qu'il faut, c'est un équivalent du Quai Branly, d'Orsay: si on veut vraiment tourner une page, il faut vraiment créer une page, ça ne peut pas être du bricolage parce que sinon vous laisserez les gens dans la frustration, voire dans une forme de ressentiment et ça produira exactement l'inverse de ce que l'on attend.
Il n'y a aucune raison que ce ne soit pas un véritable musée, on est en train de parler de 20 à 22 millions de Français ou d'étrangers sur le sol de France qui sont concernés par cette question.
Q : En quoi cette proposition des députés, que vous qualifiez d'inédite, peut aider à apaiser les débats sur ce sujet toujours très sensible soixante ans après la décolonisation ?
R : Quand l'histoire rentre au musée, quelque part elle arrête d'être dans la société civile, où les gens s'emparent sur le web de polémiques, et devient un sujet de savoir.
C'est maintenant qu'il faut le faire et si ça n'est pas fait ça va devenir un vrai schisme des mémoires, parce que les enfants, des deux côtés, vont chercher leur histoire sur le web et font du bricolage mémoriel et c'est une bombe à retardement.
- "Responsabilité" -C'est compliqué d'expliquer pourquoi la République a colonisé et c'est parce que c'est complexe que ça nécessite d'être posé, d'avoir un lieu de savoir et de connaissance, d'essayer d'expliquer pour éviter les anachronismes mais surtout de sortir des fantasmes, des nostalgies et des radicalismes.
L'idée du musée me paraît symboliquement forte, culturellement importante, en termes éducatifs on en a besoin et ça obligera à appréhender toutes les questions.
C'est un musée pour tous qui répond à une demande: les parents et grand-parents qui ont immigré en France n'ont pas beaucoup raconté cette histoire, elle était douloureuse, compliquée, mais la troisième génération veut comprendre, elle gratte le passé.
C'est de la responsabilité de la République que de prendre en charge cette question et d'être capable d'apporter une réponse pertinente. Ce n'est pas un musée pour se culpabiliser, ni pour se flageller, ni pour glorifier. Ce musée doit être celui de l'apaisement, de la reconnaissance, de la connaissance.
Q : Pourquoi cette question continue-t-elle de fracturer la société française?
C'est le dernier grand tabou de l'histoire du XXe siècle. C'est très compliqué d'arriver à raconter cette histoire parce que dans ce même pays aujourd'hui vous avez des citoyens qui viennent des deux côtés du miroir colonial.
Le +comment faire+ va être difficile mais notre génération n'a pas le choix sauf à accepter l'idée que ce doit être une guerre des mémoires permanente.
On voit d'un côté des islamistes radicaux qui arrivent à mobiliser des gamins en leur disant que la France les a humiliés comme leurs pères et leurs grand-pères et de l'autre côté les nostalgiques, le Front national notamment, avec un sujet encore très présent dans le sud de la France.
L'histoire douloureuse des pieds-noirs n'est également pas digérée. Mais on a digéré plein d'histoires qui étaient très douloureuses. Qui aurait imaginé en 1945 que la France et l'Allemagne arriveraient à pacifier leur mémoire ? Personne."
mep/pa/cbn