Le groupe Etat islamique enregistre une croissance spectaculaire sur le continent africain, mais le rôle de la centrale jihadiste au Levant reste minime et la coordination inter-filiales embryonnaire, explique à l'AFP l'expert Hans-Jakob Schindler.
Le directeur de l'ONG Counter-Extremism Project (CEP), ancien expert des Nations unies sur le jihadisme, décrit une dynamique d'opportunités qui ne témoigne pas d'une montée en puissance de cadres africains dans l'organisation.
QUESTION : Les filiales de l'EI en Afrique sont-elles en lien direct avec l'EI centrale au Levant ?
REPONSE : Il y a un point de contact mais essentiellement pour la propagande, il n'y a pas d'instructions opérationnelles. Entre les filiales, il y a très peu de coordination. Ces gens se connaissent mais je n'ai pas entendu qu'ils se parlaient. Aucune de ces provinces, à part en Libye, n'a été fondée par l'EI. Ce sont d'anciens groupes locaux qui ont prêté allégeance. Si elles devaient se coordonner (...), quel serait l'intérêt de l'EI centrale ? Cela aurait plutôt tendance à en réduire l'importance (et) l'EI est désormais très faible en Irak et en Syrie.
Q: Que peut faire l'EI pour se développer en Afrique ?
R: Peu de choses. Ce qui pour moi explique en grande partie leur croissance est liée à la gouvernance, qui s'est dégradée ces dernières années. Vous avez de grandes expansions, des filiales qui émergent, des chiffres imposants, des territoires contrôlés au moins partiellement (...) Mais il y a peu de choses que la centrale puisse faire sinon utiliser la propagande (...) Intrinsèquement, l'EI comme al-Qaïda relèvent d'une idéologie salafiste dominée par les Arabes, qui n'est pas commune en Afrique de l'Ouest et ne s'est développée que depuis 10 ou 20 ans. Il y a plus de combattants de l'EI de descendance africaine qu'arabe aujourd'hui. Mais (...) le nouveau leader, censé être irakien, connait très mal les particularités des problèmes d'Afrique subsaharienne.
Q: L'Afrique peut-elle monter en puissance dans l'EI centrale ?
R: C'est très difficile d'aller en Irak et Syrie, surtout si vous êtes Africain, et vice versa. Pour faire partie du sommet de la hiérarchie, vous devez vous trouver physiquement là où elle se trouve. Donc je ne vois pas très bien comment cela pourrait se jouer (...). Ils sont impliqués dans les conflits locaux et enregistrent de grands succès. Ils utilisent l'EI comme une marque, sont satisfaits de placer tout ça dans une échelle mondiale. Mais en terme de leadership, je n'ai eu vent d'aucune ambition ni demande de la part des filiales africaines pour intégrer le sommet de la direction. L'EI en Syrie et en Irak est maintenant une histoire de survie. Je ne dis pas que cela n'arrivera jamais, mais si cela arrive, cela ne sera pas dans l'intérêt de la centrale.
Q: Les franchises du continent collaborent-elles entre elles ?
R: Nul ne se soucie du voisin sauf si les zones (d'activité) se touchent (...). Quand ces groupes se rencontrent, il y a des conflits sur qui garde telle mine et qui contrôle tel village, parce que cela apporte du revenu (...). La marque n'est pas assez forte pour vous faire sentir que votre frère a besoin de cette mine, ou que vous devriez attaquer pour l'aider. Si la centrale les finançait, elle pourrait donner des instructions mais ce n'est pas le cas.
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