Ont-ils été piégés par un policier et son "indic" ? Au procès de six membres de la brigade anti-criminalité (BAC) du XVIIIe arrondissement de Paris, le tribunal s'est penché jeudi sur les interpellations en 2017 de deux hommes, qui affirment qu'on a placé de la cocaïne dans leur voiture pour les incriminer.
Membres de la même équipe, les prévenus comparaissent pour une longue liste d'infractions, soupçonnés d'avoir bidonné des procédures, falsifié des procès-verbaux, violenté un suspect. Le principal prévenu, Karim M. dit "Bylka", comparaît pour corruption; il a extorqué à des dealers, selon l'accusation, des "enveloppes" d'argent et des stupéfiants.
Parmi la kyrielle d'épisodes de cette affaire, deux interpellations, les 17 et 19 avril 2017. Ces jours-là, Karim M. est soupçonné de s'être entendu avec des informateurs officieux afin d'arrêter deux hommes. Avec pour objectif de faire du chiffre, rendre service à son informateur et, au passage, récupérer 80.000 euros.
Dans le box à côté du policier qui comparaît détenu, son ancien "indic", Ahmad A. surnommé "l'Hindou", revient par bribes sur le sujet. Il explique avoir rencontré Karim M. dans un café environ une semaine avant les interpellations, avec Abdoulaye D., un autre "informateur", qui comparaît lui aussi au procès.
Ce jour-là, il raconte au policier qu'il connaît un homme, Ibrahim A., qui vend de la cocaïne. Le brigadier lui propose alors de faire un "coup d'achat", c'est à dire commander de la drogue à cet homme afin de l'arrêter en flagrant délit quand il est "chargé".
Dans le box, "l'Hindou" reconnaît avoir surtout voulu se "venger": Ibrahim A. lui devait alors 5.000 euros, affirme-t-il. Le 17 avril 2017, ce dernier fait l'objet d'un contrôle routier de la part de Karim M. et l'un de ses collègues: en-dessous du siège passager, ils trouvent un pochon de cocaïne d'environ 25 grammes.
A la barre, Ibrahim A., qui est partie civile dans ce dossier, le répète: c'est Ahmad M. ou le policier qui a placé la drogue à cet endroit. A l'époque, il avait été jugé en comparution immédiate, condamné à 10 mois d'emprisonnement dont 5 avec sursis, puis expulsé vers l'Egypte.
- "business avec un policier" -Une version contestée par Karim M. Pour lui, il s'agissait d'un "plan stup" comme un autre, déclare-t-il à l'audience. Ce n'était pas un "coup d'achat" mais seulement un travail policier habituel - connu de sa hiérarchie, assure-t-il, bien que le recours à des informateurs ne soit pas autorisé à la BAC.
Deux jours plus tard, le 19 avril 2017, c'est un autre homme, Nazim B., qui est interpellé dans des circonstances similaires. Après avoir grillé un feu, il est contrôlé par Karim M. qui découvre un pochon de cocaïne de 24,4 grammes au niveau du siège passager.
Nazim B., lui aussi, estime avoir été piégé et il était, lui aussi, en contact avec Ahmad M. dit "l'Hindou".
A l'époque, il avait même été escroqué par ce dernier, qui lui avait donné des faux chèques en échange de 245.000 euros d'argent liquide qu'il souhaitait blanchir. C'est justement au moment où il cherchait à récupérer cet argent qu'il a été arrêté.
Au tribunal, Ahmad A. le confirme: il s'agissait bien d'un traquenard. Selon lui, c'est le policier qui lui a proposé de "s'occuper" de Nazim B., en échange d'un tiers de l'argent escroqué, environ 80.000 euros. "J'ai hésité, j'avais jamais fait de business avec un policier", glisse-t-il notamment.
"Je le conteste, c'est absolument faux", proteste calmement Karim M., qui répète que son informateur lui avait seulement parlé d'un trafic de cocaïne. L'escroquerie ? "Je n'étais absolument pas au courant" et "il ne m'a jamais remis 80.000 euros".
"C'est un menteur", insiste-t-il, assurant avoir compris "plus tard" avoir été "utilisé": "j'étais le dindon de la farce".
Le procès se poursuit jusqu'au 12 février.
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