Pas encore éprouvée, déjà condamnée: la réduction de douze à huit mois de la scolarité des policiers était, selon Gérald Darmanin, une "erreur fondamentale". La première promotion issue de la réforme arrive à peine sur le terrain que le Beauvau de la sécurité ambitionne déjà de tout changer.
Entrée en vigueur en juin, cette "grande réforme de la formation" - huit mois en école suivis de seize mois de stage en commissariat - avait été lancée en 2016 par l'ancien ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve pour accélérer l'arrivée des recrues sur le terrain dans le contexte post-attentats.
"Ce n'était pas un bon calcul", déclarait fin novembre Gérald Darmanin à l'Assemblée nationale quelques jours après l'affaire Michel Zecler, un producteur noir de musique tabassé par des policiers.
La formation et l'encadrement des jeunes gardiens de la paix, désignés par le ministre de l'Intérieur parmi les "sept péchés capitaux de la police", seront au menu des prochaines tables rondes, ce lundi puis le 8 mars, organisées dans le cadre du Beauvau de la sécurité.
Anthony*, 28 ans, est l'un des "cobayes" de cette nouvelle formule déjà en sursis. "Huit mois, c'était trop court. On a manqué de temps pour faire des simulations à partir de nos acquis, on n'a quasiment pas fait de sport hormis quelques footings", regrette-t-il.
Formé à l'Ecole nationale de police de Oissel (Seine-Maritime), cet ancien adjoint de sécurité de 28 ans démarre lundi son stage à la Préfecture de police de Paris, déterminé à "montrer qu'on ne sera pas forcément mauvais".
"Le cursus est beaucoup plus léger", pointe Denis Hurth, délégué formation au syndicat Unsa-Police. "Sur l'enseignement des gestes techniques, comme le menottage, les arrestations, les palpations, les tirs, on est passé de 120 heures à 72 heures", calcule-t-il.
"La réduction de la formation, déjà courte et centrée sur le technico-juridique, va marginaliser encore davantage l'aspect relationnel du métier, comme savoir communiquer, interagir et gérer des relations conflictuelles", craint Jacques de Maillard, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip).
- "Effet chasse d'eau" -Tout l'enjeu de la réforme réside dans la promesse de l'administration d'offrir aux élèves gardiens de la paix un suivi individualisé pendant leur période de "stage".
"Certains collègues qui n'étaient pas investis pendant la scolarité étaient complètement largués une fois dans les services", témoigne Romain*, affecté en Seine-Saint-Denis à sa sortie d'école en septembre.
D'autant qu'en Île-de-France, où sont affectées les trois quarts des recrues sorties d'école, le manque d'encadrement est patent. "Il y a de moins en moins d'anciens pour tenir les troupes et nous donner des astuces", glisse Julien*, "stagiaire" à Paris depuis six mois.
"On veut mettre fin à +l'effet chasse d'eau+, avec des gens formés en école qui oublient tout dès leur affectation", explique à l'AFP Philippe Lutz, directeur central de recrutement et de la formation de la police nationale.
Durant leur 16 mois de stage, baptisé "formation adaptée au premier emploi" (Fape), les jeunes policiers se verront désigner un tuteur et devront suivre en ligne des enseignements à distance.
"Ils auront des fiches avec des grilles d'analyse, par exemple sur le contrôle d'identité. Si des faiblesses sont constatées, un recyclage du stagiaire est prévu. Cela doit permettre d'objectiver leur titularisation ou non, au bout des 24 mois", détaille M. Lutz.
"Sur le papier c'est séduisant. Est-ce qu'on va avoir assez de gens pour assurer le suivi ? Je n'en suis pas certain", anticipe Emmanuel Pasquier, délégué formation chez Unité-SGP-FO.
"C'est censé être la première promotion avec un vrai suivi sur le terrain mais les personnes n'ont pas été formées", affirme Denis Hurth.
"Jusqu'à présent, personne ne nous a parlé d'un tuteur, ni de comment allait fonctionner le e-learning (enseignement à distance)", confie Anthony. "Le stage, c'est clairement comme une première affectation. On attendra de nous la même chose que d'un titulaire."
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